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Enquête interne au sein d’une banque

L’étendue du secret de l’avocat

Dans un arrêt 1B_509/2022 du 2 mars 2023, le Tribunal fédéral a été amené à préciser l’étendue du secret de l’avocat dans le cadre d’enquêtes internes au sein d’établissements financiers, problématique qu’il avait déjà esquissée, mais de manière moins détaillée, dans deux affaires précédentes (l’une ayant donné lieu à l’arrêt 1B_85/2016 du 20 septembre 2016, l’autre aux arrêts 1B_433/2017 du 21 mars 2018 et 1B_453/2018 du 6 février 2019, cf. cdbf.ch/1053).

Le Ministère public genevois mène depuis 2017 une procédure pour blanchiment d’argent contre une banque, à raison de malversations commises par un employé de celle-ci au détriment de clients de l’établissement financier.

En novembre 2021, l’autorité de poursuite a requis de la banque divers documents comprenant : a) les rapports internes ou externes relatifs à la gestion de différents avoirs par l’employé indélicat ; b) les rapports d’audit internes relatifs au département dans lequel travaillait l’employé pendant la période sous enquête ; c) les directives internes anti-blanchiment de la banque pendant la période sous enquête. Le 1er février 2022, l’établissement financier a remis deux clés USB. La première, librement accessible, contenait des rapports internes, les directives anti-blanchiment de la banque, des audits et revues LBA et les documents sur les revenus générés par les activités de l’employé. La seconde contenait en particulier des documents entrant dans la catégorie a) supra ; invoquant principalement le secret de l’avocat, la banque en requérait la mise sous scellés.

Le Tribunal des mesures de contrainte a partiellement admis la demande de levée de scellés du Ministère public. Il a considéré que les rapports d’enquête établis par la banque pour ses conseils, ainsi que les documents réalisés par un cabinet d’audit et une agence d’investigations relevaient de devoirs incombant à la banque en vertu de la législation sur le blanchiment d’argent. S’agissant des pièces établies par une première étude d’avocats, mandatée pour une analyse de la situation suite à la découverte des actes reprochés à l’employé, elles procédaient des tâches de surveillance de la banque ou de la gestion interne, mais devaient être caviardées de leurs considérations juridiques. Quant aux documents établis par une seconde étude d’avocats, ils pouvaient être utilisés par le Ministère public car ils ne comportaient pas d’éléments de conseil juridique.

Le Tribunal fédéral admet partiellement le recours de la banque.

Sur le plan du droit, notre Haute Cour rappelle notamment deux points en matière de mandats dits mixtes : 1) lorsque, dans un même mandat, l’avocat mélange activités typiques et atypiques – soit, en l’occurrence, des conseils juridiques et des tâches de contrôle et d’audit en lien avec le respect des devoirs anti-blanchiment – la question de l’étendue du secret professionnel doit être résolue au regard d’un examen concret des différentes activités ; 2) la distinction entre celles-ci pouvant être délicate, l’avocat est tenu de prendre les mesures organisationnelles nécessaires pour les séparer.

Il ne nous semble par ailleurs pas inutile – principalement dans l’optique de décisions futures – de relever la phrase par laquelle notre Haute Cour termine sa majeure : « assurément, la clarification des faits et les conseils donnés à la banque pour déterminer les considérations juridiques des détournements opérés par son employé relèvent de l’activité typique de l’avocat, mais il n’en va pas de même des constatations opérées indépendamment, afin notamment de déceler les éventuels manquements de la banque elle-même ». Nous peinons à discerner la portée de ce propos qui nous parait un peu abscons : on voit mal pourquoi la clarification des faits commis par l’employé serait soumise au secret professionnel, mais non celle relative aux manquements de la banque, étant au surplus rappelé qu’en l’espèce la procédure pénale est dirigée contre l’établissement financier lui-même.

Au stade de la subsomption, le Tribunal fédéral classe les documents en trois groupes : 1) ceux qui ont été établis par la banque à l’attention de ses avocats ; 2) ceux qui ont été établis par une étude d’avocats et qui contiennent tant des constatations factuelles que des conseils légaux ; 3) ceux qui ont été établis par une étude d’avocats ou un auxiliaire de celle-ci et qui ne contiennent que des constatations factuelles.

Le premier groupe de pièces n’est pas couvert par le secret professionnel, faute pour la banque d’avoir démontré que les documents avaient été préparés dans le seul but de permettre à ses avocats de la conseiller ou de la défendre. Les documents du deuxième groupe sont en revanche protégés par le secret, et ce, contrairement à ce qu’avait retenu le Tribunal des mesures de contrainte, dans leur intégralité (soit y compris les parties en fait). Les pièces du troisième groupe, purement descriptives, ne sont pas couvertes par le secret professionnel.

S’il y a une leçon à tirer de cette décision à ce stade, c’est, semble-t-il, que l’avocat qui rédige un rapport d’enquête est bien inspiré, dans l’optique d’une protection par le secret, de ne pas se limiter à une analyse factuelle et d’y adjoindre des considérations juridiques.