Faillite bancaire
Quelle protection pour les dépôts d’un assureur étranger ?

Teymour Brander
Les comptes ouverts auprès d’une banque suisse par une institution d’assurance étrangère (afin d’y déposer la prime payée par chacun de ses assurés) bénéficient-ils du traitement privilégié des dépôts ? Le Tribunal fédéral répond par la négative dans l’arrêt 5A_362/2023 du 28 septembre 2023.
Les faits sont les suivants. Une institution d’assurance luxembourgeoise propose des contrats d’assurance-vie. Pour chaque contrat conclu, l’institution d’assurance ouvre un compte individuel auprès d’une banque afin d’y déposer la prime payée par l’assuré. Ces comptes ont pour seule titulaire l’institution d’assurance.
Entre 2011 et 2014, l’institution d’assurance ouvre une cinquantaine de comptes de dépôt auprès d’une banque suisse, selon le procédé décrit ci-dessus. Malheureusement, la banque est déclarée en faillite en 2014. Lors de la production de ses créances, l’institution d’assurance requiert le privilège de collocation pour chacun de ses comptes (pour un total de près de CHF 600’000). Le liquidateur n’admet que partiellement cette requête en n’accordant le remboursement que de CHF 100’000 comme dépôt privilégié. Déboutée par les instances cantonales, l’institution d’assurance saisit le Tribunal fédéral.
La question que doit trancher le Tribunal fédéral est celle de savoir si l’institution d’assurance peut requérir le privilège de collocation (soit une attribution à la deuxième classe des créances) pour chacun des comptes ouverts auprès de la banque. Cela revient à déterminer si les créances issues des dépôts litigieux entrent dans la catégorie des dépôts privilégiés de l’art. 37a al. 1 LB.
Le Tribunal fédéral commence avec un rappel élémentaire sur le fonctionnement de la protection des déposants. Seul le titulaire du compte est en principe protégé ; l’ayant droit économique ne peut pas requérir le privilège de collocation, même s’il est connu de la banque. En d’autres termes, le titulaire de plusieurs comptes n’a le droit à un remboursement à titre de dépôt privilégié qu’à concurrence du montant maximal de CHF 100’000, sans égard à l’identité éventuellement distincte des ayants droit économiques des comptes.
Ce principe de l’exclusion du privilège pour l’ayant droit économique souffre toutefois une exception pour les deux catégories de créances suivantes (art. 37a al. 5 LB) : (i) les créances des fondations bancaires reconnues comme institutions de prévoyance (3ème pilier) ainsi que (ii) les créances des fondations de libre passage reconnues comme institutions de libre passage (2ème pilier). Ces créances sont considérées comme des dépôts de chaque preneur de prévoyance ou assuré lui-même et sont privilégiées, à concurrence du montant maximal CHF 100’000.
La question juridique à résoudre est celle de savoir si cette exception de l’art. 37a al. 5 LB doit être étendue aux créances litigieuses, à savoir des dépôts effectués en exécution de contrats d’assurance soumis à un droit étranger. Sur la base d’une interprétation historique et téléologique, le Tribunal fédéral y répond par la négative et rejette le recours de l’institution luxembourgeoise.
Un point s’avère particulièrement relevant pour comprendre le résultat auquel a abouti le Tribunal fédéral : les créances découlant d’un contrat de prévoyance liée conclu avec les établissements d’assurances suisses ne bénéficient pas du privilège de l’art. 37a al. 5 LB. Selon le Tribunal fédéral, les assurés n’en ont en effet pas besoin puisqu’ils bénéficient déjà d’un privilège spécifique en cas de faillite de leur assureur (voir notamment l’art. 54a al. 2 LSA). Cela permet de comprendre pourquoi l’art. 37a al. 5 LB est limité aux créances des fondations bancaires et des fondations de libre passage précitées.
Relevons en guise de conclusion que l’institution luxembourgeoise a tout de même bénéficié d’un privilège de collocation à hauteur de CHF 100’000 (pour l’ensemble de ses comptes), quand bien même elle aurait potentiellement pu être entièrement exclue de ce régime en tant qu’entreprise d’assurance étrangère soumise à une surveillance prudentielle (art. 42c al. 2 let. c OB). Ce point ayant été confirmé par la dernière instance cantonale et le Tribunal fédéral ne statuant pas au-delà des conclusions des parties, la question a été laissée expressément ouverte.