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Retrait d’agréments

Sanctions administratives et art. 6 CEDH

Un réviseur faisant l’objet d’un retrait d’agrément demande à pouvoir plaider sa cause en audience publique ; le Tribunal administratif fédéral rejette sa requête. Saisi d’un recours, le Tribunal fédéral conclut à une violation du droit à une audience publique ancré à l’art. 6 par. 1 CEDH et affirme ainsi que le volet civil de cette disposition s’applique aux procédures de retrait d’agréments (TF 2C_384/2022 du 14 novembre 2023).

Constatant une série de manquements commis dans le cadre de travaux d’audit, l’Autorité fédérale de surveillance en matière de révision (ASR) retire l’agrément d’un expert-réviseur pour une durée de quatre ans. Le concerné recourt auprès du Tribunal administratif fédéral et sollicite la tenue d’une audience publique. Celle-ci lui est refusée par le Tribunal administratif fédéral qui affirme que le droit à une audience publique garanti par l’art. 6 par. 1 CEDH ne s’applique pas in casu. Le réviseur déchu porte l’affaire devant le Tribunal fédéral.

La question que le Tribunal fédéral doit trancher est la suivante : la procédure administrative de retrait d’agrément tombe-t-elle sous le coup du volet civil de l’art. 6 par. 1 CEDH ? Plus précisément, un réviseur dont l’agrément a été retiré par l’ASR a-t-il le droit à ce que « sa cause soit entendue […] publiquement […] par un tribunal indépendant et impartial » (art. 6 par. 1 CEDH) ?

Avant de poursuivre avec le raisonnement du Tribunal fédéral, rappelons que les garanties fondamentales de procédure s’appliquent à deux actes distincts, à savoir (i) les contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil (le volet civil) et (ii) les accusations pénales (le volet pénal). L’une des distinctions principales réside dans le fait que le volet pénal inclut des garanties supplémentaires, telles que le droit ne pas s’auto-incriminer.

Revenons-en à l’arrêt examiné. Le Tribunal fédéral souligne que la notion de « droits de caractère civil » englobe non seulement (i) les contestations de droit civil au sens strict, mais aussi (ii) les actes administratifs d’une autorité publique, dans la mesure où ces actes portent atteinte de manière déterminante à des droits et obligations de nature privée. Ainsi, des sanctions dites administratives peuvent appeler à l’application du volet civil de l’art. 6 par. 1 CEDH.

In casu, le Tribunal fédéral retient que le retrait de l’agrément d’expert-réviseur a eu des conséquences lourdes pour l’individu visé (principalement au niveau de sa liberté d’exercer une activité professionnelle) et représente donc un acte portant atteinte à des droits de caractère civil. Partant, le Tribunal fédéral conclut que la procédure administrative de retrait d’agrément est soumise aux garanties fondamentales de procédure ancrées à l’art. 6 par. 1 CEDH (volet civil).

Parmi ces garanties, on retrouve le droit à une audience publique. Tout justiciable doit avoir la possibilité de plaider sa cause en audience publique s’il le souhaite et le juge doit en principe accéder à cette demande (bien que des exceptions existent, notamment en cas de demande chicanière).

En l’occurrence, aucun motif valable ne s’opposait à la requête du réviseur relative à la tenue d’une audience publique. En rejetant sa demande, le Tribunal administratif fédéral a donc violé l’art. 6 par. 1 CEDH. Ce vice de procédure entraîne l’annulation de l’arrêt ; sans examiner les griefs de fond, le Tribunal fédéral renvoie la cause au Tribunal administratif fédéral pour qu’il organise une audience publique et rende une nouvelle décision.

Cet arrêt confirme que, bien que les procédures administratives d’enforcement ne représentent pas des accusations en matière pénale (ATF 142 II 243, c. 3.4, commenté in Abrar, cdbf.ch/946/), elles peuvent revêtir un caractère civil et dès lors être soumises au respect du volet civil de l’art. 6 par. 1 CEDH. C’est à notre connaissance la première fois que le Tribunal fédéral a l’occasion de l’affirmer (du moins, si clairement). Le même sort devrait, à notre avis, être réservé au prononcé d’une interdiction d’exercer et/ou de pratiquer (art. 33 et 33a LFINMA).

Un autre enseignement peut être retenu de cet arrêt, cette fois au sujet de l’intérêt digne de protection au recours. En résumé, la période de retrait de l’agrément était arrivée à échéance avant que le Tribunal fédéral ne rende sa décision. Se posait donc la question de l’intérêt actuel et concret du réviseur à voir son recours traité. Bien que la sanction ait déjà pris fin, le Tribunal fédéral retient que le concerné conserve un intérêt à ce que la légalité du retrait de l’agrément soit examinée. Celle-ci est en effet susceptible de causer un préjudice réputationnel qui persiste au-delà de l’expiration de la sanction. À nouveau, ce raisonnement devrait s’appliquer mutatis mutandis à une interdiction d’exercer ou de pratiquer prononcée par la FINMA (dans ce sens également, Zulauf, cdbf.ch/1006/).