Droit du travail
Du verrouillage des prétentions relatives aux vacances non prises par la convention de départ

Aurélien Witzig
Dans un arrêt récent, le directeur général d’une banque a échoué à obtenir un rappel de rémunération concernant des vacances non prises, alors qu’il estimait y avoir droit, dès lors que la convention de départ qu’il avait signée avec la banque ne traitait pas spécifiquement de cette question (TF 4A_496/2022 du 6 novembre 2023).
Les faits sont les suivants : le directeur général d’une banque percevait un salaire annuel de 600’000 francs et bénéficiait de vingt-huit jours de vacances par an. Le délai de résiliation de son contrat de travail était de six mois. L’actionnaire principal n’étant pas satisfait des résultats financiers, il avait suggéré au directeur général de présenter sa démission et de rédiger, dans la foulée, un projet de convention de départ.
Une convention fut ainsi présentée par le directeur poussé à la démission. Elle se bornait, selon ses propres termes, à exposer « les principales modalités » de la fin du contrat. Concrètement, elle prévoyait que la relation de travail s’interromprait immédiatement, mais que le directeur percevrait l’équivalent de six mois de salaire. Cette modalité lui permettait de chercher rapidement une nouvelle place sans perdre le bénéfice de son long délai de congé, tandis que la banque pouvait le remplacer prestement à la tête de l’entreprise.
En sus des 300’000 francs correspondant aux six mois de salaire du délai de résiliation non effectué, le directeur général se fit verser, déclenchant proprio motu le virement bancaire, un montant de 85’000 francs, correspondant aux jours de vacances dont il n’avait pu jouir avant la fin effective du contrat de travail. Ce qu’apprenant, la banque considéra comme une faute grave : elle mit alors en demeure son ex-directeur de lui rembourser ce montant sans surseoir.
Les deux instances genevoises amenées à connaître de l’affaire donnèrent raison au directeur (moyennant un abaissement du montant de l’indemnité pour vacances non prises à 50’000 francs). Les juges cantonaux considérèrent que la question des vacances non prises n’avait pas été réglée par la convention, si bien qu’elle n’était pas couverte par l’exceptio rei transactae. Il avait donc été loisible au directeur de se faire verser le montant correspondant.
Le Tribunal fédéral conteste cette interprétation. Selon la Haute cour, l’absence de mention des vacances non prises dans la convention ne signifiait pas que cette question n’était pas tout de même tranchée par les parties, au moins indirectement. Aussi le directeur ne pouvait pas légitimement croire qu’une indemnité pour les vacances qu’il n’avait pu prendre jusque-là lui serait versée en sus. En effet, l’indemnité équivalente à six mois de salaire pour le délai de congé non accompli ne devait pas être envisagée in abstracto, mais comme remplaçant concrètement cette durée de six mois, durant laquelle le directeur aurait eu tout le loisir de prendre les vingt-trois jours de vacances dont il n’avait pu profiter jusqu’alors. Le Tribunal fédéral applique la théorie générale de l’imputation des vacances durant le délai de congé non effectué, de manière fictive. Pour ce faire, il interprète la convention des parties de manière normative, sans tenir compte des termes effectivement employés, mais en en déterminant le sens raisonnable, selon les règles de la bonne foi.
Du point de vue juridique, la solution du Tribunal fédéral est en partie discutable, dès lors que la convention stipulait elle-même qu’elle ne réglait que les « principales modalités » de la fin de la relation contractuelle. Cette précision ne revêt de sens que si d’autres éléments restaient à traiter séparément. Les instances genevoises ont dès lors appliqué le droit d’une manière précise. Cette considération fait toutefois fi du fait que c’est le directeur qui avait stipulé la convention de départ. Dans ce cas très rare en droit du travail où le travailleur dispose d’une position contractuelle, sinon égale, du moins presqu’aussi forte que celle de l’employeur, la Haute cour pouvait sans doute se permettre de conduire son raisonnement en équité et faire peser sur le directeur les conséquences du manque de clause spécifique relativement aux vacances.