Licenciement immédiat
Non-respect des règles antiblanchiment au sein d’une banque
Roxane Pedrazzini
Le Tribunal fédéral valide le licenciement immédiat d’un employé prononcé en raison de sa légèreté dans l’application des règles antiblanchiment de la banque (arrêt 4A_67/2023 du 12 juin 2024).
L’employé travaille depuis juillet 2012 au sein de la succursale panaméenne d’une banque tessinoise. Il reçoit deux avertissements, un premier le 19 juin 2015 à la suite d’un accès de colère envers un employé du département Legal & Compliance et un second le 24 juillet 2017 pour sa légèreté dans l’application des règles de lutte antiblanchiment, en particulier dans le cadre d’une relation bancaire au vu de certaines opérations douteuses et insuffisamment documentées. La banque demande dès lors à l’employé de clôturer cette relation bancaire.
Le 7 décembre 2017, le directeur général de la succursale panaméenne réprimande l’employé qui n’a toujours pas exécuté l’instruction de clôture et lui demande de cesser immédiatement toute activité en lien avec certaines sociétés. L’employé fait part de son mécontentement le 7 décembre 2017 de manière virulente à l’égard de ses collègues et supérieurs hiérarchiques ainsi que lors d’une réunion le 12 décembre 2017 laissant entendre à cette occasion, selon la banque, qu’il ne changera pas son modus operandi. La banque licencie l’employé avec effet immédiat le 14 décembre 2017.
L’employé conteste son licenciement immédiat et dépose une action en paiement contre la banque. Les deux premières instances confirment la validité du licenciement immédiat. L’employé recourt donc au Tribunal fédéral.
L’employé formule plusieurs griefs quelque peu déconstruits à l’encontre de l’arrêt cantonal. Il soutient que son licenciement immédiat aurait été prononcé uniquement à la suite de sa réaction du 7 décembre 2017, mais non pas en raison du non-respect (i) de l’instruction de clôture de la relation bancaire considérée problématique et (ii) des règles de lutte antiblanchiment. Sur cette base, il argumente que sa réaction du 7 décembre 2017 ne saurait être qualifiée de grave et justifier un licenciement immédiat et que celui-ci aurait été prononcé tardivement.
Une résiliation immédiate au sens de l’art. 337 CO est admise de manière restrictive et n’est justifiée qu’en cas de fautes graves, soit en cas de violation contractuelle de nature à rompre objectivement le rapport de confiance. En outre, la résiliation doit être immédiate, la jurisprudence autorisant en principe un délai de réflexion de deux à trois jours ouvrables. Un délai plus long n’est admissible qu’à titre exceptionnel, par exemple lorsque la décision doit être prise par un organe composé de plusieurs membres ou le déroulement des faits nécessite des éclaircissements.
En l’espèce, le Tribunal fédéral retient que le licenciement immédiat a été prononcé non seulement sur la base de la réaction agressive de l’employé du 7 décembre 2017, mais également en raison de sa légèreté dans l’application des règles antiblanchiment malgré un avertissement.
Le Tribunal fédéral examine ces deux motifs :
Premièrement, l’avertissement de juillet 2017 était justifié par des manquements graves de la part de l’employé dans le cadre de la gestion de la relation bancaire problématique en particulier au regard des règles antiblanchiment. L’employé a notamment utilisé des formulaires A signés en blanc par la cliente, ne disposait pas de justificatifs pour de nombreuses opérations bancaires, a suggéré des réponses à la cliente pour éviter des contrôles de compliance et n’a pas traité 38 alertes de blanchiment enregistrées par la banque. Ces manquements sont prouvés par des témoignages, des documents et une investigation interne menée par l’employeur, notamment des audits internes et auditions d’employés. L’employé devait ainsi être conscient que de nouveaux manquements entraîneraient des conséquences sur la poursuite des rapports de travail.
Deuxièmement, les preuves au dossier montrent que la banque a demandé à l’employé à plusieurs reprises et en vain de clôturer une relation bancaire. Or, l’employé s’est violemment emporté le 7 décembre 2017 lorsque son supérieur hiérarchique l’a confronté au fait qu’il avait ignoré l’instruction de clôturer immédiatement la relation bancaire en violation de la réglementation interne en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. L’employé a en outre démontré une absence totale de prise de conscience de l’importance des règles antiblanchiment et d’autocritique à l’égard de ses manquements. Ainsi, la banque pouvait valablement considérer que l’employé continuerait à méconnaître la règlementation antiblanchiment, ce qui est propre à rompre le rapport de confiance.
L’analyse du Tribunal fédéral permet de rappeler l’importance pour l’employeur de pouvoir prouver les motifs de licenciement avancés. Il doit dès lors veiller à documenter les étapes et éléments pris en compte dans le processus décisionnel.
Par ailleurs et selon le Tribunal fédéral, le licenciement immédiat n’est pas tardif en l’espèce dès lors qu’il a été prononcé quatre jours ouvrables (les 8, 9 et 10 décembre 2017 étant fériés) après que la banque a constaté que l’employé n’avait toujours pas clôturé la relation bancaire. Durant ces quatre jours, le corps décisionnel s’est réuni au Panama – dont un membre a dû s’y rendre depuis la Suisse – pour tenir une réunion avec l’employé et a constaté à cette occasion qu’il n’avait pas pris conscience de l’importance des règles antiblanchiment.
Cet arrêt souligne ainsi l’importance donnée depuis quelques années à la lutte contre le blanchiment d’argent au sein des banques. Chaque employé, peu importe son rang, doit prendre au sérieux la règlementation antiblanchiment et, s’il est interpellé à cet égard, prendre immédiatement les mesures appropriées. En cas de légèreté (persistante) dans l’application de cette règlementation, l’employé s’expose à un licenciement immédiat, comme c’était le cas dans l’arrêt commenté.