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Droit de timbre de négociation

Un impôt mis face à son but premier

Dans un arrêt destiné à publication, le Tribunal fédéral, contre l’avis de l’Administration fédérale des contributions, exonère une société holding du droit de timbre de négociation (i) dans le cas d’un transfert intragroupe de participations ne remplissant pas les conditions de restructurations posées par la LIFD ainsi que (ii) suite à l’octroi de participations à des collaborateurs à titre gratuit (9C_168/2023, 9C_176/2023 du 25 novembre 2024).

L’affaire concerne une société de type holding réalisant deux opérations que l’Administration fédérale des contributions (« AFC ») considère comme soumises au droit de timbre de négociation (« DTN »). En effet, la société holding qualifie de commerçante professionnelle de titres (art. 13 al. 3 let. d LT) car elle détient plus de CHF 10 millions de titres visés par la loi dans son bilan.

L’AFC considère que deux opérations (transfert intragroupe d’actions et octroi de participations à des collaborateurs) auraient dû faire l’objet d’un prélèvement du DTN pour environ CHF 2.7 millions. Le Tribunal administratif fédéral (« TAF ») admet l’exonération de la première opération, mais pas du plan d’intéressement, ce qui est contesté devant le Tribunal fédéral (« TF »).

La première opération – de transfert intragroupe – concerne le rachat à la valeur vénale par la société holding de 14,9 % du capital-actions de B SAS – alors qu’elle en détenait 25 % – à sa société fille C détenue à 100 %. L’opération est incontestablement soumise au DTN. Toutefois, les parties divergent quant à l’application de l’exonération en cas de transfert de participations directes ou indirectes d’au moins 20 % du capital-actions d’autres sociétés à une société du groupe (art. 14 al. 1 let. j LT ab initio cum art. 61 al. 3 LIFD), ainsi qu’en cas de transfert d’au moins 20 % du capital-actions d’autres sociétés à une société suisse ou étrangère du groupe (art. 14 al. 1 let. j LT in fine). Pour l’AFC, les conditions n’étaient pas réunies.

S’agissant de la notion de participation indirecte de l’art. 61 al. 3 LIFD, le seuil de 20 % est atteint s’il existe au sein d’une direction unique une participation totale d’au moins 20 % dans la société dont les actions sont transférées, ce qui est le cas en l’espèce.

Par ailleurs, selon le TF, les conditions posées par la LIFD permettant l’exonération de l’imposition sur le bénéfice (notamment transfert à la valeur comptable et maintien de l’assujettissement en Suisse), ne sont pas déterminantes en l’espèce pour que l’exonération à laquelle renvoie la LT s’applique. Or, dans ce cas l’opération est réalisée à la valeur vénale et n’est pas située en Suisse, comme l’exigerait l’art. 14 al. 1 let. j LT ab initio.

Selon l’AFC, le seuil de 20 % prévu à l’art. 14 al. 1 let. j LT in fine ne prévoit pas de détention indirecte, les conditions de l’exonération n’étant ainsi pas remplies. Nonobstant l’argumentation de l’AFC et sur la base d’une interprétation téléologique, le TF conclut que l’objectif du législateur était d’exonérer un transfert de participations intragroupe en Suisse ou à l’étranger. L’exonération est ainsi confirmée par application de l’art. 14 al. 1 let. j LT ab initio.

La deuxième reprise vise l’octroi de participations à des collaborateurs du groupe A, dans le cadre de deux plans de participation de collaborateurs. Après une période de vesting, les collaborateurs pouvaient acquérir des actions gratuitement sur la base de leur performance et fidélité.

En principe, l’octroi de ces actions peut être qualifié de rémunération avec des conséquences en matière d’imposition du revenu des collaborateurs. Le TF s’écarte en revanche de l’appréciation de l’AFC et du TAF selon laquelle ces actions auraient été octroyées à titre onéreux et devraient être soumises au DTN (art. 13 al. 1 LT). Selon le TF, la transaction n’a pas été réalisée « à titre onéreux » sur la base de la relation de travail – à plus forte raison en l’espèce, les actions ayant été octroyées gratuitement – car la contre-prestation est impossible à identifier et s’inscrit dans le cadre du travail pour lequel les collaborateurs sont engagés. De plus, l’assiette fiscale serait presque impossible à déterminer faute de pouvoir quantifier la valeur vénale du travail, même en cas d’octroi d’actions publiques dont la valeur peut fortement varier.

Finalement, le TF rappelle que la LT visait au départ le négoce et les opérations sur titres, ce que les octrois gratuits d’actions à des collaborateurs ne sont pas. L’imposition est ainsi invalidée par le TF.

Cette décision appelle les commentaires suivants :

  1. Cet arrêt permet de confirmer la pratique de l’AFC en matière de restructuration intragroupe selon laquelle la notion de détention indirecte doit être comprise par l’ensemble des détentions réunies au sein d’une direction unique.
  2. L’appréciation des critères de restructuration de la LIFD auxquels se réfèrent d’autres lois doit se faire à l’aune du but visé par ces dernières.
  3. Le TF adopte dans cet arrêt des approches économiques s’écartant de la lettre de la loi pour donner la priorité à son but en faveur du contribuable, nonobstant une interprétation généralement formaliste de cette loi.

La solution apportée par le TF dans le cadre d’octroi d’actions à titre gratuit est très claire. En revanche, la question d’octrois à la valeur nominale ou à une valeur de formule reconnue, fréquemment utilisés en pratique pour éviter des conséquences fiscales à l’octroi, est moins claire. L’analyse de l’art. 13 LT par le TF s’appuie fortement sur l’absence totale de contre-prestation (« pas même à un prix de faveur ») : un paiement à prix de faveur pourrait résulter en un prélèvement du DTN dans les hypothèses susmentionnées. Cela étant, le TF a affiné son analyse pour aboutir à la conclusion que le DTN ne doit vraisemblablement pas viser les opérations d’octroi d’actions de collaborateurs dans un but de fidélisation et non commercial. Ainsi, l’octroi d’actions à des conditions préférentielles à des collaborateurs par une commerçante professionnelle ne devrait pas être soumis au DTN.