Aller au contenu principal

Contrat de crédit

Pas d’abus de confiance si l’affectation des valeurs est insuffisamment définie

L’emprunteur qui utilise les fonds prêtés pour une finalité différente de l’affectation déterminée par le contrat peut exceptionnellement être reconnu coupable d’abus de confiance (art. 138 ch. 1 CP). Pour cela, il faut encore que l’affectation des valeurs patrimoniales prêtées soit clairement définie dans le contrat, ce qui n’était pas le cas dans l’arrêt 6B_240/2024 du 9 janvier 2025.

Sur la base d’un « Loan Agreement  », une société prête USD 300’000.- à une autre société. Les parties ne prévoient pas spécifiquement dans le contrat que les fonds doivent être utilisés dans un but précis. A la date d’échéance du prêt, ce dernier n’est pas remboursé et la société prêteuse entame une procédure civile contre sa débitrice. La procédure civile suit son cours et, à défaut de capacité de remboursement, la société emprunteuse est finalement mise en faillite quelques années plus tard.

Quelques mois après le prononcé de la faillite, la société prêteuse dépose une plainte pénale contre l’ancienne directrice de la société emprunteuse. Selon elle, la directrice aurait utilisé les fonds prêtés dans une finalité différente au contrat de prêt. En première et deuxième instance, les autorités genevoises arrivent à la conclusion que la directrice a effectivement utilisé les fonds de manière contraire au contrat et retiennent que tous les éléments constitutifs d’un abus de confiance sont réalisés. La directrice recourt au Tribunal fédéral.

Commet un abus de confiance – au sens de l’art. 138 ch. 1 al. 2 CP – la personne qui, sans droit, utilise à son profit ou au profit d’un tiers des valeurs patrimoniales qui lui avaient été confiées.  L’infraction suppose ainsi qu’une valeur ait été confiée. Pour que cette condition soit réalisée, l’auteur doit, d’une part, avoir acquis la possibilité de disposer de la valeur patrimoniale. D’autre part, l’usage de la valeur patrimoniale doit être spécifiquement déterminé par à un accord (exprès ou tacite) ou un autre rapport juridique. L’auteur se comporte donc de manière délictueuse lorsqu’il utilise la valeur patrimoniale contrairement aux instructions reçues.  Lorsque les valeurs sont confiées à une personne morale, l’art. 29 let. a CP permet de punir l’organe qui a utilisé les valeurs à des fins différentes de celles prévues contractuellement.

Dans le contexte d’un prêt, si l’emprunteur utilise l’argent prêté contrairement à la finalité convenue, il peut exceptionnellement être reconnu coupable d’abus de confiance. L’infraction est envisageable uniquement si (i) l’affectation des valeurs patrimoniales prêtées a été clairement prédéfinie et (ii) cette affectation sert à assurer la couverture du risque du prêteur ou, à tout le moins, à diminuer son risque de perte.

L’infraction ne requiert pas une description détaillée de la nature de l’accord des parties et de l’opération envisagée. L’état de fait doit néanmoins « permettre de le circonscrire avec un niveau de précision suffisant pour procéder à l’examen des deux points susmentionnés ».

En l’espèce, le Tribunal fédéral considère qu’il est « impossible de déterminer – même vaguement – quelle opération aurait été envisagée par les parties ». Les conditions nécessaires à l’application de l’art. 138 ch. 1 al. 2 CP ne sont donc pas remplies. Le recours de la directrice est admis, l’arrêt est annulé et renvoyé à la cour cantonale.

Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal fédéral aborde certaines questions intéressantes d’interprétation contractuelle non abordées dans le cadre de ce commentaire. En particulier, l’arrêt aborde les possibilités de prendre en compte des faits postérieurs à la conclusion d’un contrat pour en déterminer sa teneur (c. 4).

Sur le volet relatif à l’abus de droit, deux leçons peuvent à notre sens être tirées de cette décision.

Du côté de l’emprunteur, quand bien même l’infraction d’abus de confiance n’est finalement pas retenue, cet arrêt constitue une piqûre de rappel sur les risques pénaux auxquels s’expose l’emprunteur qui ne respecte pas la finalité d’un prêt dans l’utilisation des fonds. La jurisprudence a déjà eu l’occasion de confirmer l’application de cette disposition pénale à la suite d’un prêt lorsque la somme prêtée, destinée au financement de travaux de construction, a été affectée au règlement de factures diverses (TF 6B_827/2008 du 7 janvier 2009, c. 1.4). Dans une autre décision, un crédit octroyé pour l’acquisition d’un terrain et à la construction d’un bâtiment a été utilisé pour éteindre des dettes personnelles (ATF 124 IV 9, c. 1a).

Du côté du prêteur, cet arrêt met en évidence l’importance de décrire avec précision la finalité d’un crédit dans la documentation contractuelle. Si l’affectation des valeurs est suffisamment mise en évidence dans le contrat, une épée de Damoclès pend au-dessus de la tête de l’emprunteur qui envisage de s’écarter du contrat. L’éventualité d’une sanction pénale peut inciter l’emprunteur à ne pas utiliser les fonds prêtés pour un but étranger au contrat.