Extension de l'EAR aux Cryptos-actifs
Le Conseil fédéral publie son message
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Lionel Jeanneret
Le 19 février 2025, le Conseil fédéral a transmis au Parlement le message concernant le projet d’extension de l’échange international automatique de renseignements en matière fiscale (EAR) aux Crypto-actifs (le Message) par l’adoption d’un cadre de déclaration des Crypto-actifs (CDC).
En sus du CDC, le Message propose des ajouts et des amendements à la loi (P-LEAR) ainsi qu’à l’ordonnance (P-OEAR) sur l’échange automatique de renseignements. Les nouvelles règles devraient entrer en vigueur le 1er janvier 2026 pour un premier échange en 2027.
Le projet vise par ailleurs i) à rendre punissable la violation par négligence des obligations de diligence, de déclaration et d’information, ii) à simplifier l’admission de nouveaux États partenaires dans le cadre de l’EAR ainsi que iii) la reprise dynamique des commentaires de l’OCDE (art. 2b P-LEAR). Quelques aspects choisis de ce sprint législatif, déclaré par le Conseil fédéral exempt de « Swiss finish » (cf. le Message, p. 18) sont abordés ci-dessous.
Obligations des fournisseurs de services de Crypto-actifs
Le CDC définit un Crypto-actif comme une représentation numérique d’une valeur qui s’appuie sur un registre distribué sécurisé par des moyens cryptographiques ou une technologie similaire employée pour valider et sécuriser des transactions, à l’exception des monnaies numériques émises par une Banque centrale (cf. CDC, Section IV par. A).
Les prestataires de services sur Crypto-actifs (prestataires) sont des personnes physiques ou entités qui rendent un service sous la forme de transactions de Crypto-actifs.
Les prestataires sont définis en Suisse comme (art. 30a al. 4 P-OEAR) :
- Les intermédiaires financiers au sens de l’art. 2 al. 2 LBA ;
- Les prestataires de services crypto qui exercent leur activité à titre professionnel, c’est-à-dire qu’ils dépassent l’un des seuils (financiers et de volume de transactions) des art. 7 à 10 de l’OBA.
En bref, toutes les transactions portant sur des Crypto-actifs effectuées au cours d’une année civile ainsi que l’identité des bénéficiaires effectifs de ces Crypto-actifs devront être annoncées à l’Administration fédérale des contributions (AFC) (cf. CDC, Section II, art. 15 P-LEAR). En outre, le prestataire devra obtenir une autocertification de l’utilisateur de ses services permettant de déterminer sa ou ses résidences fiscales, dont le prestataire devra confirmer la vraisemblance.
Les prestataires suisses pourront s’appuyer sur des prestataires de services tiers pour remplir leurs obligations de diligence selon le CDC, mais en resteront responsables (art. 12d P-LEAR).
Le P-LEAR introduit aussi la définition d’État participant à l’EAR Crypto-actifs / CDC (art. 2 al. 1 let. cbis) par opposition aux États participant uniquement à l’EAR relatif aux comptes financiers / NCD. Il appartiendra aux prestataires de tenir compte des deux listes et d’adapter (régulièrement) leur reporting.
Nexus suisse
L’art 12b al. 1 P-LEAR délègue au Conseil fédéral le soin de fixer les critères en fonction desquels un prestataire est considéré comme i) résident fiscal suisse, ii) tenu de déposer une déclaration de renseignements fiscaux ou iii) considéré comme disposant d’une succursale en Suisse (cf. CDC, Section I par. A).
L’art 30a P-OEAR prévoit de définir ces critères comme suit :
- la résidence fiscale selon les art. 3 ou 50 LIFD ;
- l’obligation de déposer une déclaration de renseignements fiscale (déclarations IFD, ICC, TVA ainsi que les attestations fiscales sur les sociétés simples et de personnes concernant leurs associés, notamment sur les parts de ces derniers au revenu et à la fortune de la société) ;
- l’exploitation d’un établissement stable en Suisse sans y être domicilié.
Ces critères permettent également de distinguer les types de prestataires auxquels incomberont des obligations de diligence et de déclaration différentes.
Dispositions pénales
Les dispositions pénales, qui relèvent de la compétence de l’AFC et dont la poursuite est donc soumise à la DPA (art. 37 LEAR), seront renforcées par un nouvel art. 32a P-LEAR. Cette nouvelle disposition pénale réprime la violation de l’obligation de renseigner l’AFC visée à l’art. 25 al. 1 P‑LEAR. Toutefois, il est prévu que l’AFC puisse renoncer à une poursuite pénale et à une peine dans les cas de peu de gravité (cf. art. 32 al. 2 et 32a al. 2 P-LEAR). À noter que la notion de « cas de peu de gravité » ajouté en raison des critiques exprimées dans le cadre de la procédure de consultation pourrait être source d’incertitudes et n’est, du moins pour le moment, pas abordée dans le P-OEAR.
Par ailleurs, l’art. 35 P-LEAR prévoit de réprimer l’omission de donner une autocertification ou de donner une autocertification incorrecte. Le concours avec l’art. 251 CP réprimant le faux dans les titres n’est pas abordé dans le Message et pourrait poser quelques problèmes pratiques, en particulier si le formulaire en question identifie également l’ayant droit économique des avoirs. En l’absence de clarification, les prestataires pourraient reproduire ces deux articles sur les formulaires d’autocertification transmis à leurs clients.
La nouveauté la plus significative est probablement l’art. 25 al. 2 P-LEAR qui permet notamment à l’AFC, à la FINMA et aux organismes de surveillance et d’autorégulation d’échanger des renseignements concernant l’EAR (tant concernant les Cryptos-actifs que les comptes financiers).
Un calendrier sportif
Les prestataires disposant d’un lien avec la Suisse devront analyser les nouvelles normes CDC suisses et prendre les dispositions nécessaires pour se conformer aux nouvelles exigences réglementaires d’ici le 1er janvier 2026.
Une nouvelle version de l’OEAR devrait être publiée en novembre 2025 et ressemblera vraisemblablement dans les grandes lignes au projet soumis à la consultation le 15 mai 2024. Les dernières modalités techniques devront toutefois être finalisées en quelques semaines. Le calendrier pour les prestataires de services est donc pour le moins serré.
Par opposition et selon toute vraisemblance, les États-Unis ne partageront pour leur part pas d’informations sur la base du CDC avant 2028 (cf. IRS, Federal Register, 9 juillet 2024 p. 56517).