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Séquestre de la banque contre le garant d'un crédit

Exigences (élevées) relatives à la vraisemblance de la propriété des biens séquestrés

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral rejette le recours d’une banque à l’encontre d’un arrêt du Tribunal cantonal vaudois refusant d’ordonner le séquestre de biens immobiliers appartenant à l’ex-épouse du débiteur (arrêt 5A_754/2024 du 18 février 2025).

Bien que l’arrêt en question concerne principalement des questions d’exécution forcée, en particulier en lien avec le degré de vraisemblance que le créancier doit atteindre afin d’obtenir un séquestre, cette affaire constitue un exemple parlant de difficultés auxquelles une banque créancière peut être confrontée dans le recouvrement de garanties personnelles.

Par contrat du 25 décembre 2014, une banque octroie à la société E un crédit d’un montant maximal de USD 11 millions, versé en plusieurs tranches, chacune donnant lieu à un « accord complémentaire » faisant partie du contrat de base.

Le lendemain, B, un riche homme d’affaires russe et actionnaire de la société E, conclut un contrat avec la banque aux termes duquel il se porte caution pour le remboursement du crédit. Son épouse, dont il est séparé depuis le début de l’année 2014, consent à cet engagement par écrit. Depuis la séparation, les époux sont convenus que cette dernière demeure au domicile conjugal dans le canton de Vaud avec l’enfant du couple, alors que B a quitté la Suisse pour refaire sa vie en Russie.

En janvier 2016, la banque conclut avec la société E le dernier « accord complémentaire » relatif au crédit susmentionné.

Un mois plus tard, B et sa désormais ex-épouse signent une convention de divorce, ratifiée par jugement du 8 juillet 2016, laquelle prévoit notamment le transfert en pleine propriété à l’ex-épouse des immeubles formant l’ancien domicile conjugal, B s’engageant à assumer l’intégralité des charges y afférentes. Le transfert est inscrit au registre foncier le 3 juin 2016.

La situation financière de B se dégrade toutefois significativement.

Dans un premier temps, la société E n’est pas en mesure de rembourser le crédit octroyé par la banque, si bien que cette dernière assigne B devant la High Court of Justice de Londres en vertu du contrat de cautionnement et obtient en octobre 2017 un jugement condamnant ce dernier à lui verser plus de USD 12 millions.

Dans un second temps, en novembre 2018, un tribunal russe prononce la faillite personnelle de B. Par décision subséquente du 30 décembre 2021, ce même tribunal révoque le transfert des immeubles convenu par B et son ex-épouse dans leur convention de divorce, au motif que celui-ci avait eu pour but de léser les créanciers de B, ce que son ex-épouse ne pouvait ignorer. Ces décisions russes ne sont pas reconnues en Suisse.

En juillet 2023, forte du jugement obtenu à Londres, la banque requiert – et obtient – (1) la déclaration du caractère exécutoire en Suisse du jugement en question, et (2) le séquestre des immeubles appartenant à l’ex-épouse de B à hauteur de quelque CHF 11 millions.

L’ordonnance de séquestre est toutefois révoquée sur oppositions formées par B et son ex-épouse, au motif que la banque a échoué à rendre vraisemblable que B était le « réel » propriétaire des immeubles dont le séquestre était requis. Cette décision est confirmée par le Tribunal cantonal vaudois.

Sur recours de la banque, le Tribunal fédéral doit se prononcer – sous l’angle de l’interdiction de l’arbitraire (art. 98 LTF) – sur la question de savoir si cette dernière a ou non rendu vraisemblable que les immeubles visés par le séquestre, inscrits au registre foncier au nom de l’ex-épouse de B, appartenaient en réalité à celui-ci.

En substance, le Tribunal cantonal vaudois a considéré qu’il était vraisemblable que l’attribution en pleine propriété des immeubles à l’ex-épouse de B avait eu lieu à titre de liquidation du régime matrimonial. À l’inverse, la banque n’avait pas rendu vraisemblable que le transfert des immeubles était intervenu dans des circonstances qui en auraient justifié la révocation au sens des art. 285 ss LP, rendant l’inscription au registre foncier inexacte.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que seuls les biens qui appartiennent juridiquement au débiteur peuvent en principe être séquestrés, sauf à ce que le créancier parvienne à rendre vraisemblable que des biens au nom de tiers appartiennent en réalité au débiteur. En matière de séquestre d’immeubles inscrits au nom de tiers, le créancier doit rendre vraisemblable la révocabilité du transfert de propriété.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral considère que la banque n’y est pas parvenue, notamment pour les raisons suivantes :

  • Aucune détérioration sensible de la situation financière de B entre la séparation de fait en 2014 et la signature de la convention de divorce en 2016 n’a été rendue vraisemblable ;
  • Il est vraisemblable que la propriété des immeubles a été transférée à l’ex-épouse pour régler les conséquences financières du divorce et non pour léser les créanciers ;
  • Les deux décisions russes de 2018 et 2021, au demeurant non reconnues en Suisse, ne permettent pas de considérer que B était surendetté au moment de la conclusion de la convention de divorce en 2016 ;
  • La proximité temporelle entre le versement de la dernière tranche du crédit et la conclusion de la convention de divorce ne remet pas en cause la constatation selon laquelle, au moment de la signature de la convention de divorce, B se trouvait dans une situation financière favorable.

À notre sens, les exigences posées par le Tribunal fédéral en matière de vraisemblance sont en l’espèce particulièrement élevées et équivalent quasiment à une preuve stricte, laquelle devrait en principe faire l’objet de la procédure en revendication. À la lecture de l’arrêt, il apparaît en effet que la banque a apporté un nombre important d’éléments factuels, lesquels ont cependant été rapidement écartés.

Quoi qu’il en soit, cet arrêt illustre bien les risques associés aux garanties personnelles. Une sûreté réelle, par exemple sur les immeubles litigieux, aurait probablement permis à la banque de recouvrer le crédit octroyé bien plus aisément.