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Revendication dans l'exécution forcée

Un formulaire A n’est pas suffisant

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral se prononce sur la question de savoir si la personne identifiée dans un formulaire A comme ayant droit économique des avoirs déposés sur un compte bancaire peut revendiquer la propriété de ces avoirs dans une procédure d’exécution forcée sur ce seul fondement (arrêt 5A_208/2023 du 10 juillet 2024).

À l’origine de cet arrêt, dans le cadre de procédures de taxation visant B et C, l’Administration fiscale cantonale de Genève (AFC-GE) requiert – et obtient – le séquestre de trois comptes bancaires dont ces derniers sont titulaires, puis fait valider les séquestres par voie de poursuite.

L’AFC-GE obtient ensuite la mainlevée définitive des oppositions formées par B et C, de sorte que – par avis du 7 novembre 2018 – l’Office des poursuites informe ces derniers de la conversion des séquestres en saisie définitive.

C’est à ce moment-là que les trois enfants des poursuivis, A, E et F, interviennent dans la procédure pour revendiquer chacun le solde de l’un des trois comptes bancaires séquestrés (art. 106 al. 2 LP). En substance, chacun des enfants a été désigné comme ayant droit économique de l’un des trois comptes dans les formulaires A établis à l’ouverture des comptes. Les trois enfants estiment que l’indication de leur nom dans ces formulaires établit leur propriété des avoirs déposés sur les comptes.

L’AFC-GE ne partage pas cette interprétation et ouvre par conséquent une action en contestation de la revendication (art. 108 LP) contre chacun des trois enfants. La procédure ayant mené à l’arrêt faisant l’objet du présent commentaire est celle qui concerne A.

Au niveau cantonal, tant le Tribunal de première instance que la Chambre civile de la Cour de justice donnent raison à l’AFC-GE et rejettent la revendication formée par A.

Cette dernière dépose alors un recours auprès du Tribunal fédéral, dans lequel elle fait valoir – pour toute argumentation – que son statut d’ayant droit économique découlant du formulaire A constitue une preuve suffisante de la propriété des fonds déposés sur le compte.

La question qui se pose devant le Tribunal fédéral est donc celle de savoir si l’identification en tant qu’ayant droit économique (au sens utilisé dans le formulaire A) confère la qualité de propriétaire des avoirs en cause ou si la propriété alléguée doit reposer sur des éléments concrets et refléter la réalité juridique.

Après quelques rappels relatifs à la portée de l’action en revendication – une action de droit des poursuites avec incidence sur les rapports de droit matériel –, le Tribunal fédéral rappelle que le tiers revendiquant doit établir son droit en apportant la preuve complète de sa propriété.

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral (cf. par exemple ATF 132 III 609), le contenu d’un formulaire A ne déploie aucun effet de droit privé. S’il peut certes constituer un indice, il ne saurait à lui seul faire office de preuve de la titularité juridique des avoirs en compte.

En d’autres termes, il est possible, selon les circonstances, que la personne identifiée en tant qu’ayant droit économique dans le formulaire A soit effectivement propriétaire des fonds déposés sur le compte, mais tel n’est pas nécessairement le cas.

Dans tous les cas, la propriété doit être établie par une preuve complète. Or une telle preuve n’a pas été apportée en l’espèce.

Bien au contraire, les faits retenus par les instances cantonales démontrent que A n’a jamais eu aucune maîtrise sur le compte, dont elle ignorait jusqu’à peu l’existence. Si ses parents avaient apparemment eu l’intention, à l’ouverture du compte, de lui faire don des avoirs en compte à ses 25 ans, une telle donation n’avait finalement jamais eu lieu. En réalité, aucun élément concret ne soutenait la thèse d’une donation ou d’un avancement d’hoirie, de sorte que les parents – titulaires du compte en question – devaient être considérés comme les véritables propriétaires des avoirs en cause.

En tant que le seul argument avancé par le tiers revendiquant devant le Tribunal fédéral était l’indication de son nom dans le formulaire A, le résultat de cet arrêt ne surprend pas. Le Tribunal fédéral a déjà répété à plusieurs reprises qu’un tel formulaire ne produit pas d’effet de droit privé, dès lors que l’identification de l’ayant droit économique est une mission d’intérêt public que la banque assume uniquement dans le cadre de ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.

Dans le contexte d’une procédure d’exécution forcée, cela signifie qu’il n’est – logiquement – pas possible de soustraire des actifs bancaires à la saisie sur le seul fondement de l’indication d’un ayant droit économique différent du titulaire du compte dans le formulaire A. Nonobstant une telle indication, c’est bien la réalité juridique qui fait foi.