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Gestion durable des entreprises

Statu quo suisse et perspectives européennes

Dans son communiqué de presse du 21 mars 2025, le Conseil fédéral a rendu compte des résultats de la procédure de consultation portant sur la révision partielle de la réglementation en matière de reporting extra-financier et devoirs de diligence des entreprises, qui a pris fin en octobre 2024.

Le Conseil fédéral réaffirme sa volonté d’adapter le droit suisse aux normes internationales. Or, au vu des récents développements législatifs au sein de l’UE, les entreprises suisses devront patienter avant de connaître le sort qui sera réservé au projet de révision des art. 964a ss CO. Un délai au printemps 2026 a été fixé pour que le Conseil fédéral se détermine sur la suite à donner à l’avant-projet.

A. Avant-projet et résultats de la procédure de consultation

En juin 2024, le Conseil fédéral ouvrait une procédure de consultation concernant les obligations en matière de publication d’informations extra-financières. A l’appui de cette démarche, il entendait aligner le droit suisse sur les évolutions réglementaires internationales, en particulier européennes.

Parmi les principales modifications envisagées, figurent les éléments suivants :

  • extension du champ d’application des entreprises concernées (i) en abaissant notamment le critère du nombre d’employés à plein temps à 250 (actuellement : 500) et (ii) en incluant toute entreprise d’intérêt public (p.ex. sociétés cotées, banques et gestionnaires de fortune collective), en abandonnant toute exigence de seuil minimum en termes d’employés ou de résultats financiers (art. 964a AP-CO) ;
  • précisions concernant le contenu du rapport de durabilité et introduction de nouvelles thématiques telles que la description des principales incidences négatives (réelles ou potentielles) liées à l’activité de l’entreprise et à sa chaîne de valeur (art. 964c AP-CO) ;
  • abandon du principe comply or explain (actuel 964b al. 5 CO) ;
  • exigence d’audit par un tiers indépendant (entreprise de révision ou organisme d’évaluation de la conformité) (art. 964c bis AP-CO).

Les résultats de la procédure de consultation reflètent des avis contrastés. Nombre de participants ont exprimé leur accord sur le principe d’une révision de la législation en vigueur, en demandant toutefois des modifications significatives de l’avant-projet afin d’assouplir le régime proposé.

Les arguments en faveur d’une révision allégée sont principalement économiques. Entre volonté d’épargner les PME (qui représentent quelque 99 % des entreprises en Suisse) et rejet de toute forme de Swiss finish, les opposants redoutent la création d’un désavantage concurrentiel. Plus largement, les coûts et bénéfices du nouveau régime interrogent. Cette position trouve un écho favorable dans les développements en cours dans l’UE.

B. Contexte européen

A la suite du Rapport Draghi sur la compétitivité de l’UE, publié en septembre 2024, les instances européennes ont décidé de prendre des mesures afin d’alléger la réglementation sur la durabilité. D’après le Rapport Draghi, les exigences de reporting en matière de durabilité et de due diligence sont un frein à la croissance et la compétitivité des entreprises européennes compte tenu des coûts jugés excessifs qu’engendrent ces exigences réglementaires.

Ainsi, dans le cadre de la Boussole pour la compétitivité, la Commission européenne a présenté un paquet législatif « omnibus » visant à simplifier trois réglementations clés en matière de durabilité : le Règlement sur la taxonomie, la Directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD) et la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises (CSDDD).

Le premier volet, adopté en avril, suspend les délais de mise en œuvre dans l’attente de l’examen des amendements proposés. Le second volet, portant sur la révision de fond des textes, sera examiné en 2025 pour une adoption prévue en 2026.

C. Gestion durable des entreprises suisses

Le Paquet Omnibus touche, directement ou indirectement, les entreprises suisses :

  • Les entreprises actuellement soumises à la CSRD, à la CSDD ou au Règlement sur la taxonomie verront leurs obligations de reporting et de vigilance allégées. Certaines pourraient même être exemptées des devoirs découlant de la CSRD en raison du relèvement des seuils d’éligibilité : 1’000 employés (au lieu de 250) et des seuils financiers (chiffre d’affaires et bilan) plus élevés pour les entreprises non européennes.
  • Les entreprises suisses intégrées dans la chaîne d’approvisionnement d’entités soumises à la CSDDD pourraient à l’avenir échapper à cette législation. En effet, la Directive révisée limite les obligations de vigilance, sauf exception, aux seuls fournisseurs directs, et restreint les informations exigibles à celles définies par les standards volontaires de durabilité pour les PME non cotées (VSME).
  • La stratégie suisse en matière de durabilité dépend étroitement des évolutions européennes. Par conséquent, l’issue de la procédure sur le Paquet Omnibus influencera les suites réservées à l’avant-projet. En particulier, si la Suisse adopte les nouveaux seuils de matérialité de la CSRD, de nombreuses grandes entreprises suisses seraient vraisemblablement déjà couvertes par cette directive, rendant les exigences suisses en partie redondantes.

Dans l’immédiat, les changements amorcés dans l’UE pourraient affaiblir des initiatives telles que l’initiative 2.0 sur les entreprises responsables.

Il nous paraît cependant prématuré de conclure que le Paquet Omnibus annoncerait l’extinction des ambitions de durabilité de l’UE, ou de la Suisse. Ce projet de révision représente certes un réajustement significatif de l’approche européenne suivie jusqu’à présent. Moins globale et détaillée, la nouvelle stratégie se concentre sur les grandes entreprises et prévoit des obligations de reporting et de vigilance réduites.

Toutefois, le cadre réglementaire européen concernant la durabilité demeure considérablement mieux défini que le droit suisse. Si la Suisse poursuit son objectif d’harmonisation en matière de durabilité, les réflexions autour du texte de l’avant-projet restent à notre avis pleinement d’actualité.