Rapport annuel 2024 du MROS
Des communications bientôt transmises à la police ?

Natacha A. Polli
La discrétion entourant la publication du Rapport annuel 2024, ajoutée à la suppression du site du MROS des rapports antérieurs à 2015 (disponibles sur le site de la Bibliothèque nationale suisse), interroge alors que les éléments de pratique publiés par le MROS restent régulièrement cités dans des procédures en cours. En revanche, les typologies font désormais l’objet d’un intéressant rapport, qui met aussi en évidence les bonnes pratiques des intermédiaires financiers (IF).
Outre sa tâche de renseignement (traitement des communications), le MROS met de plus en plus en avant les piliers « Coopération » (internationale) et « Prévention » (voir le Swiss FIPPP, le Crypto Symposium et le Chinese Underground Round Table) de sa mission.
Les statistiques, qui montrent une hausse de 27.5 % du nombre de communications, n’appellent pas de commentaire particulier.
Le MROS prend position sur des sujets importants pour les IF. Voici quelques réflexions dans une perspective pratique du point de vue des IF, plutôt qu’une analyse juridique stricte.
En ligne avec son Rapport annuel 2023, le MROS rappelle la nécessité de recevoir des communications « qualitatives » : « Le degré de clarification ne doit pas être sacrifié sur l’autel de l’immédiateté ». La position du MROS est claire et bienvenue, mais elle ne résout pas la tension ressentie par les IF entre les vues apparemment désalignées des autorités compétentes (outre le MROS : la FINMA, le DFF, voire les parquets cantonaux et fédéral) sur la notion d’immédiateté des communications. Pour plus de développements et une réflexion prospective, voir Polli, cdbf.ch/1352.
« Interprétation de l’art. 11a LBA – Justification des demandes de renseignements ». L’art. 11a LBA permet au MROS d’interpeller un IF pour obtenir des renseignements, à la suite d’une communication d’un autre IF ou d’une demande d’une homologue étrangère. Le MROS exclut toute possibilité de fournir des indications complémentaires comme l’identité du déclencheur de la demande, l’infraction présumée ou le lien potentiel entre le client de l’IF interpellé et les faits objets du soupçon. Il invoque les normes de protection des données et le secret de fonction auquel est soumis le MROS, ainsi que l’interdiction de tipping-off applicable aux IF. Or, ces demandes constituent un indice de blanchiment selon l’Annexe à l’OBA-FINMA (ch. 3.4) : à réception d’une demande selon l’art. 11a LBA, un IF va procéder à des clarifications (art. 6 al. 2 let. b LBA). Suivant la jurisprudence, il devrait étendre ses recherches aux autres comptes liés aux personnes identifiées à la suite de la demande du MROS (y compris des comptes clôturés si applicable) et allonger la période transactionnelle considérée. Ceci, sans pouvoir guider ses clarifications efficacement vu l’absence d’indication de la part du MROS. Même si ses clarifications ne révèlent pas de soupçon clair, l’inconfort créé par la situation amènera souvent l’IF à faire une communication sur les éléments non-couverts par la réponse à la demande du MROS – plutôt qu’un no-AML Report – par crainte de se voir reprocher un défaut de communication selon l’art. 37 LBA. Ce seront rarement des communications « qualitatives ». En outre, pour l’IF, une relation d’affaires communiquée nécessite un suivi particulier dans le cadre l’approche fondée sur les risques. Cette question mériterait d’être réexaminée en profondeur, pour trouver une solution plus efficiente pour l’ensemble des parties prenantes.
Définition des « autorités de poursuite pénale ». Se référant à l’art. 12 CPP (entré en vigueur en 2011), le MROS annonce que le cercle des autorités auxquelles il peut dénoncer des cas selon l’art. 23 LBA s’étend au-delà des ministères publics cantonaux et du MPC. Il se réserve le droit de transmettre des dénonciations aux autorités pénales administratives et à la police. Si on peut imaginer une transmission de communication à l’OFDF (douanes) par exemple, la perspective de transmettre une communication à une police cantonale ou à la police fédérale – rattachée au même office que le MROS – laisse perplexe. Le but des communications a évolué, l’aspect confiscatoire (voir Message LBA 1996) s’amenuisant au profit du « renseignement actif » (voir Rapport annuel 2023, p. 9). Cependant, la transmission à une autorité de poursuite pénale a aussi pour but de provoquer une décision concernant l’éventuel blocage des valeurs patrimoniales (art. 10 al. 1 cum al. 3 LBA). Une telle décision ne peut être prise par la police. Le Message LBA 1996, ne définissait pas les autorités pénales, mais renvoyait aux règles cantonales en mentionnant le pouvoir de séquestre (ce qui renvoyait aux ministères publics et/ou juges d’instruction suivant l’organisation judiciaire de chaque canton). Ceci s’explique par le fait qu’à l’origine la décision du magistrat concernant le blocage intervenait à l’issue du délai de 5 jours durant lesquels l’IF avait dû bloquer les valeurs patrimoniales (art. 10 al. 2 aLBA jusqu’au 31.12.2015). Par ailleurs, le Message LBA 2007 relatif à l’art. 29a LBA (Autorités pénales) énumère les autorités de poursuite pénale fédérales comme étant le MPC et l’Office des juges d’instruction fédéraux. Enfin, quel est l’intérêt de doubler la liste des autorités à qui sont transmises les communications si la police ne peut décider seule de bloquer les valeurs patrimoniales et doit solliciter le ministère public ? Il semble douteux que le législateur de 1997 ait envisagé une transmission des communications à la police. Se fonder sur le CPP, entré en vigueur postérieurement à la LBA et ayant modifié en profondeur le régime de la poursuite pénale, n’est pas convaincant, d’autant plus que le processus décisionnel relatif au blocage des valeurs patrimoniales a lui aussi évolué entre-temps. Si le but poursuivi est de trouver une solution à la surcharge des autorités (p. ex. un traitement simplifié des cas de money mule), il convient de mettre le sujet à plat pour évaluer s’il est possible d’améliorer le processus de communication de bout en bout, par exemple en introduisant une approche différenciée selon les risques, mais en tenant compte des obligations de l’ensemble des parties prenantes.