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Ordres bancaires frauduleux

Applicabilité des conditions générales à l’ouverture d’un « compte-rubrique »

Le Tribunal fédéral confirme l’applicabilité des conditions générales à l’ouverture d’un compte-rubrique et nie la faute grave de la banque dans la non-détection d’ordres frauduleux (4A_76/2025 du 21 août 2025).

Le client, un homme d’affaires fortuné, est lié à la banque par de nombreuses relations commerciales depuis 2005. Les conditions générales de la banque contiennent une clause de réclamation, obligeant le client à contester les ordres ou instructions immédiatement après la notification y relative, mais au plus tard dans le délai prévu. Une clause de transfert de risque prévoit également que le dommage résultant de la non-reconnaissance de défauts d’identification ou de falsifications est à la charge du client, sous réserve d’une faute grave de la banque. Celles-ci prévoient encore que la correspondance doit être conservée en banque restante.

Le client confie la gestion de ses comptes à un gestionnaire externe. Celui-ci se voit reprocher d’avoir ouvert un compte-rubrique (« Rubrik-Konto ») auprès de la banque à l’aide d’une signature falsifiée. Il aurait ensuite ordonné deux versements à découvert depuis ce compte en faveur du neveu du client. Cette construction empêchait le client de détecter les sorties de fonds. Le compte-rubrique présente alors un solde négatif. La banque compense celui-ci avec les avoirs disponibles sur le compte principal, causant ainsi un dommage de près de USD 2 millions au client. Pour ces faits, le gestionnaire est reconnu coupable de divers chefs d’accusation et condamné, par voie civile adhésive, au paiement dudit dommage. Ce jugement n’est pas encore définitif. Parallèlement, le client intente une action civile contre la banque, demandant le paiement du même montant.

L’Obergericht de Zurich, par arrêt du 7 janvier 2025, a considéré, en se fondant sur les clauses de transfert de risque et de réclamation, que le préjudice était à la charge du client et qu’aucune faute grave de la banque ne s’y opposait. Le client recourt au Tribunal fédéral.

Dans un premier temps, il est question de déterminer si le processus d’ouverture d’un compte-rubrique entrait dans le champ d’application des conditions générales conclues pour la relation principale. Le Tribunal fédéral répond par l’affirmative, en s’appuyant sur trois éléments.

Premièrement, il considère qu’à la teneur de leur désignation (« Allgemeine Geschäftsbedingungen »), les conditions générales doivent s’appliquer à toutes les relations pour lesquelles rien d’autre n’a été convenu.

Deuxièmement, il retient que la clause de réclamation vise les ordres ou les instructions de toute nature (« aller Art »). Cette formulation large plaide en défaveur d’une interprétation restrictive. Par conséquent, la demande d’ouverture d’un nouveau compte relève des instructions visées par cette clause.

Enfin, le Tribunal fédéral ajoute que le formulaire d’ouverture du compte-rubrique (supposément falsifié) faisait référence au numéro du compte de base. Il faut ainsi considérer que le compte-rubrique a été ouvert dans le cadre de la relation bancaire de base, ce qui plaide également en faveur de l’application des clauses.

L’ouverture du compte-rubrique étant couverte par les conditions générales du compte de base, il en résulte que le dommage découlant de la non-détection de la falsification par la banque est attribué au client, sous réserve d’une faute grave de la banque. Il en va de même pour la clause de réclamation (qui crée une fiction de ratification). En effet, la banque qui oppose à son client une clause de réclamation peut abuser de son droit (art. 2 al. 2 CC) si elle a commis une faute grave, en particulier si elle se prévaut également d’une clause de banque restante (fiction de réception).

Le formulaire d’ouverture prévoit que les ordres frauduleux passés après l’ouverture du compte-rubrique sont également couverts par les conditions générales applicables au compte de base. Bien que le client soutienne que la signature de ce formulaire soit falsifiée, le Tribunal fédéral confirme les développements de l’instance cantonale et attribue les conséquences au client.

Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral s’attèle à l’examen des reproches formulés à l’égard de la banque. En effet, advenant que la banque ait commis une faute grave, tant la clause de transfert de risque que la clause de réclamation ne sauraient s’appliquer.

Le client fait notamment valoir que la banque aurait dû effectuer des call-back tant en vertu d’un accord qu’en raison d’un usage du secteur. Le Tribunal fédéral considère toutefois que l’existence d’un accord n’est pas suffisamment établie. Quant à l’usage du secteur, il est retenu que l’argumentation du client aurait été convaincante s’il avait été établi qu’il s’agissait du premier virement d’un montant à six chiffres au moins ou si jusqu’à présent tous les virements de ce type avaient donné lieu à un call-back. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

De plus, le client prétend que la banque aurait dû repérer certaines irrégularités, en particulier l’incongruité de l’ouverture d’un compte-rubrique puis des virements à découvert alors qu’ils auraient pu être réalisés depuis le compte de base. Le Tribunal fédéral décide que le client ne démontre pas suffisamment pourquoi les points soulevés – bien qu’essentiels à la commission de l’infraction – auraient dû paraître suspects dans le contexte global.

Le Tribunal fédéral, à l’instar de l’instance précédente, conclut que la banque n’a pas commis de faute grave. Dès lors, le client supporte les conséquences de la non-détection d’une (éventuelle) falsification.

En somme, il ressort de cette décision que le Tribunal fédéral confère, dans le cas d’espèce, une portée particulièrement large aux conditions générales en considérant qu’elles s’appliquent au processus d’ouverture de compte. Il est intéressant de relever que les arguments sur lesquels repose ce raisonnement sont probablement transposables à de nombreuses relations bancaires. Il convient en outre de souligner que le Tribunal fédéral rappelle que la clause de réclamation, lorsqu’elle est accompagnée d’une clause de banque restante, n’est pas opposable au client en cas de faute grave de la banque. Sur le plan méthodologique, on observe que la question de la faute grave a fait l’objet d’un examen simultané pour la clause de transfert de risque et pour la clause de réclamation. Enfin, nombre des griefs avancés par le recourant ont été rejetés en raison de leur caractère appellatoire. Cet arrêt met ainsi en évidence que l’allégation d’une faute grave de la banque doit faire l’objet d’une motivation particulièrement étayée.