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L'infraction d'utilisation sans droit de valeurs patrimoniales (art. 141bis CP) : portée en cas d'erreur de la banque provoquée par l'auteur

Dans un arrêt du 4 novembre 2004 (6S.117/2004), le Tribunal fédéral a eu l’occasion de se pencher sur la portée de l’art. 141bis CP, réprimant l’utilisation sans droit de valeurs patrimoniales.
L’arrêt a trait à une condamnation confirmée par l’Obergericht du canton de Zurich, concernant un titulaire d’un compte, sur lequel deux montants de respectivement USD 50’000.- et 100’000.- avaient été crédités par erreur. La banque zurichoise avait reçu ces virements d’un établissement bancaire à Trinidade et Tobago, avec instruction de créditer ces avoirs sur le compte de M. « X.___,188 ». Les informations données ne correspondant pas à un compte auprès de la banque, les employés de celle-ci ont fait des recherches au sein de l’établissement, qui leur ont permis de trouver un client homonyme du bénéficiaire, dont le numéro de compte contenait le chiffre 188. Ce client a donc été contacté par téléphone et interrogé sur la question de savoir s’il attendait des sommes substantielles, ce qu’il a confirmé de manière contraire à la vérité. La banque ne s’est rendue compte de son erreur qu’après l’exécution de deux virements successifs, alors que le client avait déjà fait des retraits pour la plus grande partie des montants qui lui avaient été crédités.
Le Tribunal fédéral a annulé la condamnation prononcée par les instances zurichoises sur la base de l’art. 141bis CP. Cette disposition vise celui « qui, sans droit, aura utilisé à son profit ou au profit d’un tiers des valeurs patrimoniales tombées en son pouvoir indépendamment de sa volonté ». Ces éléments n’étaient pas réunis dans le cas d’espèce, puisque l’auteur avait, par sa confirmation mensongère, selon laquelle il attendait des montants substantiels, voulu obtenir des valeurs dont il savait parfaitement qu’elles ne lui étaient pas dues. Or, le texte clair de l’art. 141bis CP ne se réfère pas à l’erreur commise par le donneur d’ordre ou la banque créditant un compte, mais au fait que l’auteur dispose d’une valeur qui lui est parvenue « indépendamment de sa volonté ».
L’interprétation préconisée par le Tribunal fédéral est parfaitement conforme à la lettre de l’art. 141bis CP et aux exigences découlant du principe de la légalité (art. 1 CP) et du caractère lacunaire de la protection pénale du patrimoine. En l’espèce, l’auteur a commis une tromperie qui a eu pour résultat des transferts patrimoniaux en sa faveur. Or, en vertu de l’art. 146 CP réprimant l’escroquerie, seule la tromperie astucieuse est punissable. En l’occurrence, l’astuce semble avoir été écartée, puisqu’au crime d’escroquerie, les instances cantonales avaient préféré le délit réprimé à l’art. 141bis CP. On imagine aisément que l’escroquerie a été niée à juste titre, car les employés de la victime semblent avoir agi de manière particulièrement légère, en ne questionnant pas le client de façon adéquate et en renonçant à demander des précisions au donneur d’ordre ou à sa banque. Il ne saurait être admissible de réprimer ce même comportement par le biais d’une interprétation analogique de l’art. 141bis CP.