La déclaration d'intégralité de l'administrateur d'une société anonyme n'est pas un titre au sens de l'art. 251 CP
Ursula Cassani
En date du 30 novembre 2005, la Cour de cassation du Tribunal fédéral a rendu un arrêt ayant trait à la qualification, au regard de l’art. 251 CP réprimant le faux dans les titres, d’une déclaration d’intégralité établie par l’administrateur d’une société anonyme à l’intention de l’organe de révision (arrêt X. contre Ministère public du canton d’Argovie, 6S.141/2005, destiné à la publication dans le Recueil officiel).
L’arrêt a trait à la portée de l’art. 251 CP, plus précisément à la définition du faux intellectuel dans les titres. Cette notion ne cesse de donner du fil à retordre à nos tribunaux et surtout aux praticiens, qui restent souvent dans l’incertitude concernant la qualification juridique d’un type de document jusqu’au jour où le Tribunal fédéral se prononce. En l’espèce, la question était celle de savoir si la déclaration d’intégralité certifiant de manière mensongère le caractère exact et complet des informations comptables transmises doit être considérée comme un faux intellectuel dans les titres. Le Tribunal fédéral nie cette qualification, abandonnant par là le point de vue contraire exposé dans un arrêt rendu en 1979 (ATF 105 IV 189).
Depuis ce premier arrêt traitant de la question, le Tribunal fédéral a considérablement restreint le champ d’application de l’art. 251 CP. Cette disposition distingue le faux matériel, supposant une fausse signature ou une manipulation par un tiers, du faux intellectuel, supposant qu’un titre, sans avoir été faussé, certifie un fait inexact. Conformément à la jurisprudence constante inaugurée par l’ATF 117 IV 35, un document dont le contenu est inexact ne doit être considéré comme un faux dans les titres que s’il en émane une force de persuasion accrue (« erhöhte Glaubwürdigkeit ») du fait soit d’une disposition légale lui conférant une garantie de véracité, soit de la position de confiance de celui qui l’a établi. A défaut de ces garanties particulières, il n’y a pas lieu d’accorder à un document mensonger un crédit suffisant pour que l’on soit en présence d’un faux intellectuel dans les titres ; il y a simple mensonge écrit, qui n’entraîne pas de sanction pénale.
Selon la jurisprudence constante, de telles garanties s’attachent notamment à la comptabilité commerciale et à ses parties en vertu de l’art. 957 CO (arrêt du 30 novembre 2005, consid. 8.1) ou au rapport de révision, du fait que le réviseur a un droit d’accès à des informations et pièces auxquelles les actionnaires et créanciers n’ont pas accès (arrêt du 30 novembre 2005, consid. 9.3.3).
Il n’en va pas de même, estime le Tribunal fédéral, s’agissant de la déclaration d’intégralité. En effet, même s’il est de règle en pratique que l’organe de révision exige une telle déclaration du conseil d’administration et que celui-ci est tenu de transmettre toutes les informations nécessaires à la révision des comptes en vertu de l’art. 728 al. 2 CO, il ne découle pas de cette disposition une garantie de véracité particulière. De la même manière, l’on ne saurait considérer, selon le Tribunal fédéral (consid. 9.3.3), qu’une force de persuasion accrue s’attache à ce document en raison d’une position de confiance, dont l’existence est niée, s’agissant du rapport entre le conseil d’administration et l’organe de révision. Au contraire, ajoute notre haute cour, la déclaration d’intégralité n’est pas seulement la base, mais aussi l’objet du travail de révision (consid. 9.3.3), l’organe de révision étant tenu de faire des vérifications supplémentaires, s’il a des doutes fondés concernant le caractère complet et exact de la déclaration d’intégralité.
Ce dernier argument, en vertu duquel le conseil d’administration n’occupe pas une position de confiance particulière vis-à-vis de l’organe de révision lorsqu’il lui confirme avoir satisfait à son devoir de transmettre tous les documents et informations nécessaires pour appréhender la situation comptable exacte de la société, peut évidemment prêter à discussion. La transmission complète de ces éléments est un devoir légal incombant au conseil d’administration en vertu de l’art. 728 al. 2 CO et engageant sa responsabilité dans l’intérêt principalement des actionnaires et des créanciers, qui doivent pouvoir lui faire confiance, y compris dans la manière dont il alimente le travail des réviseurs.
Cela étant, l’incidence pratique de cette jurisprudence ne doit pas être surestimée. L’administrateur qui établit sciemment une déclaration d’intégralité contraire à la vérité aura, en règle générale, également collaboré à l’élaboration ou du moins à la transmission de la comptabilité inexacte et obtiendra, par action médiate, un rapport de révision contraire à la vérité. Il participera, en outre, à l’utilisation de ces faux intellectuels vis-à-vis des actionnaires lors de l’assemblée générale. Tous ces actes sont punissables au regard de l’art. 251 CP.