Mesure provisoire jugée de durée disproportionnée
Christian Bovet
Par une première ordonnance, le Conseil fédéral a bloqué en 1997 l’ensemble des avoirs de la famille Mobutu se trouvant en Suisse ou administrés depuis ce pays. A la même époque, la République démocratique du Congo a requis l’entraide judiciaire de la Suisse, et l’Office fédéral de la police − fonction reprise en cours de procédure par l’Office fédéral de la justice (OFJ) − a en conséquence également ordonné des mesures de blocage sur ces avoirs. En mars 2001, l’OFJ a levé partiellement le séquestre pénal pour procéder à la vente d’immeubles et de meubles, afin de désintéresser des créanciers publics (la Confédération et les titulaires de gages fiscaux) ; le solde du produit de la réalisation a été déposé sur un compte bancaire bloqué. A la fin 2003, l’OFJ a rendu une décision de clôture de la procédure d’entraide judiciaire constatant que les conditions requises pour l’octroi de celle-ci n’étaient pas remplies et levant l’ensemble des mesures provisoires ordonnées dans ce cadre. Toutefois, quelques jours auparavant, le Conseil fédéral a prononcé une seconde ordonnance (faussement qualifiée de « décision » par les services du gouvernement) bloquant les avoirs de la famille Mobutu pour une « période initiale de trois ans » ; le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) devaient en outre « assister les parties en vue de rechercher, dans un cadre approprié, une issue aussi satisfaisante que possible ».
En 1997 et 1998, un créancier privé a obtenu divers séquestres civils qu’il a ensuite dûment validés ; les oppositions des hoirs Mobutu ont été levées définitivement, à concurrence d’un montant de plus 2,3 millions, par un jugement entré en force en juillet 2001. Considérant que la mesure de blocage du Conseil fédéral de 2003 n’était pas opposable à son client, l’avocat de ce créancier a entrepris de nombreuses démarches pour faire valoir les droits de son mandant auprès du DFAE. Faute d’y parvenir, il a notamment formé un recours de droit administratif auprès du Tribunal fédéral. Dans cette affaire, l’arrêt du 27 avril 2006 traite de nombreux aspects de procédure, qui font le bonheur des enseignants de contentieux de droit public (recours en principe exclu en vertu de l’art. 100 lit. a OJ règle reprise partiellement par l'[art. 83 lit. a LTF, en vigueur dès le 1er janvier 2007], application de la réserve fondée sur l’art. 6 CEDH, relations avec la procédure LP, etc.). De ce point de vue, cette décision complète plusieurs considérants du premier arrêt publié en 2005 dans un domaine similaire, celui de la loi sur les embargos.
Sur le fond, le Tribunal fédéral a confirmé, si besoin était, que l’art. 184 al. 3 Cst et, avant lui, l’art. 102 ch. 8 aCst constituaient une base légale suffisante pour des mesures de blocage du type de celles ordonnées par le Conseil fédéral. En l’espèce, celles-ci remplissaient en outre les exigences de nécessité et d’urgence au moment où elles avaient été décidées ; on peut aussi admettre qu’elles visaient alors à sauvegarder les intérêts de la Suisse dans ses relations avec l’étranger. S’agissant du principe de proportionnalité, notre Haute Cour a retenu que (a) la mesure n’était pas apte à atteindre le but visé − un accord négocié entre toutes les parties, dans la mesure où le recourant avait clairement manifesté par son comportement qu’il n’était en aucun cas disposé à transiger sur sa créance ; que (b) l’intérêt public à préserver l’image de la Suisse ne prévalait pas sur l’intérêt privé du créancier à l’exécution de son jugement, le premier n’étant pas atteint par l’amputation de la somme reconnue définitivement par un acte judiciaire ; et que surtout (c) le blocage litigieux était disproportionné de par sa durée, les négociations étant « apparemment très laborieuses du fait des autorités congolaises. »