Prise de position de la SFA au sujet de la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de rétrocessions
Olivier Stahler
La Swiss Funds Association (« SFA »), soit l’organisation professionnelle représentative de l’industrie suisse des fonds de placement, a publié le 5 décembre 2006 une prise de position au sujet de l’impact sur l’industrie des fonds d’une récente jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de rétrocessions.
Cette prise de position de la SFA fait suite aux remous suscités au sein de la place financière suisse par l’arrêt du Tribunal fédéral, publié aux ATF 132 III 460 (cf. actualité n° 446 du 22 juin 2006). Dans cet arrêt du 22 mars 2006, le Tribunal fédéral a estimé qu’un tiers gérant est en principe tenu de restituer à son client les rétrocessions reçues de tiers, notamment de la banque dépositaire. Cela étant, le Tribunal fédéral a jugé que cette obligation de restitution découlant de l’article 400 al. 1 CO relevait du droit dispositif et qu’il était ainsi loisible au client d’y renoncer. La renonciation à la restitution des rétrocessions doit intervenir de manière expresse et présuppose que le client soit informé de manière complète et exacte des rétrocessions.
Suite à la publication de cet arrêt rendu dans le domaine de la gestion de fortune privée, la SFA a examiné dans quelle mesure le raisonnement du Tribunal fédéral pouvait être transposé à la gestion de fortune collective. Les sociétés de direction de fonds délèguent généralement la distribution des parts de fonds de placement à des distributeurs qui sont rémunérés par le versement de rétrocessions. Dans ce contexte, se pose la question de savoir si le distributeur est tenu de restituer ces rétrocessions à l’investisseur final.
Dans sa prise de position, la SFA rappelle en premier lieu que le Tribunal fédéral a limité le devoir de restitution aux rétrocessions présentant un lien intrinsèque (« innerer Zusammenhang ») avec l’exécution d’un mandat (soit le mandat de gestion de fortune privée dans l’arrêt précité). En revanche, les prestations reçues par le mandataire de tiers dans le contexte de l’exécution du mandat (« bei Gelegenheit der Auftragsausführung ») restent acquises au mandataire. La SFA estime que les rétrocessions perçues par les distributeurs tombent dans cette dernière catégorie. En effet, selon la SFA, les distributeurs peuvent conserver les rétrocessions dans la mesure où (i) ces rétrocessions représentent une contre-prestation pour des services effectivement fournis par le distributeur en faveur d’un tiers et (ii) le client final ne rémunère pas lui-même le distributeur pour la fourniture de ces services (prohibition de la double rémunération). La position défendue par la SFA exclut les rétrocessions ainsi perçues par les distributeurs du champ d’application de l’obligation de restitution.
Incidemment, l’argumentation développée par la SFA n’est pas sans rappeler la position défendue par une partie de la doctrine antérieure à l’arrêt du 22 mars 2006 du Tribunal fédéral. Certains auteurs estimaient en effet que le tiers gérant était autorisé à conserver les rétrocessions reçues de la banque dépositaire, au motif que ces paiements devraient être qualifiés de contre-prestation pour des services rendus à la banque dépositaire (notamment en matière d’acquisition et de gestion de clientèle). A noter que, dans son arrêt, le Tribunal fédéral avait refusé de suivre cette argumentation, au motif que les rétrocessions reçues par le tiers gérant présentent en réalité un lien intrinsèque avec l’exécution du mandat de gestion de fortune conféré par le client final. Dans sa prise de position, la SFA souligne les spécificités de la gestion de fortune collective, à savoir un domaine d’activités nettement plus réglementé que celui de la gestion de fortune privée. Pour ce faire, la SFA dresse une liste des services effectivement rendus par le distributeur. A titre exemplatif, ces services comprennent (i) les activités promotionnelles pour le fonds, (ii) les obligations règlementaires déléguées au distributeur (notamment s’agissant des obligations découlant des Directives de la SFA en matière de commercialisation de fonds ou les obligations de diligence liées à la lutte contre le blanchiment d’argent), ou encore (iii) la mise à disposition des publications obligatoires (prospectus et rapports). Selon la SFA, les rétrocessions versées au distributeur constituent la rémunération de ces services. Une telle qualification exclurait ainsi l’existence d’un lien intrinsèque (« innerer Zusammenhang ») entre ces rétrocessions et le mandat conféré par l’investisseur final.
En s’écartant quelque peu des justifications économiques invoquées par la SFA à l’appui de son raisonnement, l’on peut relever qu’une éventuelle obligation de restitution des rétrocessions ne s’applique que pour autant que la relation contractuelle entre le distributeur et l’investisseur final relève du mandat, soit le type de contrat qui prévoit une obligation de restitution. Tel devrait cependant généralement être le cas lorsque le distributeur est une banque ou une assurance qui propose des parts de fonds de placement à sa clientèle.
Comme indiqué ci-dessus, la SFA exclut les rétrocessions versées dans le cadre de la gestion de fortune collective du champ d’application de l’obligation de restitution. La SFA n’a ainsi pas abordé le second volet de l’arrêt du 22 mars 2006, soit la question de savoir si l’investisseur final peut valablement renoncer à la restitution de rétrocessions qui lui seraient en principe dues. Dans son arrêt de principe, le Tribunal fédéral avait souligné qu’une telle renonciation est valable, pour autant qu’elle soit expresse et éclairée. Une telle renonciation devrait donc être prévue expressément dans les rapports entre l’investisseur final et le distributeur. S’agissant du caractère éclairé de la renonciation du client, l’on peut se demander si les exigences de transparence ancrées dans la Directive de la SFA concernant la transparence dans les commissions de gestion (qui fait partie des normes d’autorégulation reconnues comme standards minimaux par la CFB, selon l’Annexe de la Circulaire de la CFB n° 04/2) constituent un fondement suffisant à une renonciation valable. A défaut d’une telle renonciation, on relèvera que la restitution des rétrocessions à l’investisseur final se heurte aux limites fixées par la section 4 de la Directive de la SFA concernant la transparence dans les commissions de gestion. Aux termes de cette directive, le versement de rétrocessions est limité en principe à certains investisseurs institutionnels qui détiennent des parts de fonds pour le compte de tiers, soit les compagnies d’assurance-vie et les caisses de pension.
Quand bien même la prise de position de la SFA reflète à l’évidence les intérêts de l’industrie des fonds, elle constitue un éclairage bienvenu sur la question complexe de la portée de l’arrêt du 22 mars 2006 dans le domaine de la gestion collective.