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Responsabilité délictuelle fondée sur l'art. 305bis CP

Dans un arrêt 4C.386/2006 du 18 avril 2007 destiné à publication, le Tribunal fédéral a été saisi d’une action en responsabilité délictuelle intentée par une banque sise dans un pays du Golfe à l’encontre d’une banque basée à Genève. Le Tribunal fédéral a examiné la question non tranchée « de savoir si celui qui commet un acte de blanchiment non intentionnel – comportement qui (…) ne tombe pas sous le coup de la loi pénale – peut néanmoins engager sa responsabilité délictuelle en vertu de l’art. 41 al. 1 CO pour le préjudice qu’il a causé (…) ».
En 1995, un client malien de la banque arabe a déterminé le sous-directeur de cet établissement à détourner des fonds à son profit. En trois ans, près de US$ 240 mio ont été versés à ce client ou ses proches. Une partie de la somme a transité par des comptes dont lui-même ou son épouse étaient titulaires auprès de la banque genevoise à destination de ses comptes ouverts dans des banques sises principalement en Afrique et aux Etats-Unis. En 1998, la banque arabe a déposé plainte pénale à Genève. La procédure qui a suivi n’a pas abouti à une condamnation. Dans son action civile subséquente, fondée exclusivement sur la responsabilité délictuelle, la banque arabe a soutenu que la banque genevoise avait commis un blanchiment d’argent à son détriment en acceptant de recevoir des fonds d’origine criminelle, puis de les transférer à l’étranger.
Le droit applicable se détermine en application du droit international privé suisse, en tant que lex fori. A défaut d’élection de droit, le droit suisse s’applique en tant que loi du lieu de commission de l’acte illicite invoqué (Art. 133 II 1ère phrase LDIP), soit la Suisse exclusivement. En écho à l’art. 133 II 2ème phrase LDIP, le Tribunal fédéral rappelle en outre que lorsque les fonds en cause peuvent être distingués de l’ensemble du patrimoine du lésé, doit être considéré le lieu où les intérêts patrimoniaux en cause sont touchés. La banque arabe se plaignant d’une atteinte patrimoniale qui se serait produite en Suisse, ce lieu est la Suisse, en conséquence de quoi il faut s’en tenir à la règle du lieu de commission.
La banque arabe, victime d’un préjudice purement économique, invoque l’art. 305bis CP en tant que norme dont la finalité est de la protéger dans ses droits atteints par l’acte incriminé (illicéité du comportement). La jurisprudence fédérale reconnaît en effet que l’art. 305bis CP protège les intérêts patrimoniaux de ceux qui sont lésés par le crime préalable lorsque les valeurs patrimoniales proviennent d’actes délictueux contre des intérêts individuels (ATF 129 IV 322, c. 2, SJ 2004 I 115). Le cas d’espèce diffère cependant puisque la banque genevoise a commis des actes de blanchiment non intentionnels.
Dans un arrêt isolé de 1998, la Cour de Justice genevoise avait jugé que, sur le plan civil, il importait peu que l’art. 305bis CP soit une infraction intentionnelle. Dès lors, il suffisait pour la Cour que « l’on soit en présence d’un acte objectivement répréhensible » (SJ 1998 647/648) afin que la condition de l’illicéité – du comportement – soit remplie.
Dans son analyse, le Tribunal fédéral rappelle que la doctrine a généralement critiqué cette jurisprudence de la Cour de Justice. Fort de cette constatation, il relève que la condition de l’illicéité tend généralement à assurer que la responsabilité civile ne soit pas étendue de manière excessive. Notant ensuite que législateur a écarté la responsabilité du blanchisseur qui agit par négligence, le Tribunal fédéral estime inopportun d’attribuer une portée moindre aux éléments subjectifs qu’aux éléments objectifs du blanchiment. Il en conclut que l’art. 305 bis CP « ne souffre pas d’être disséqué et qu’il s’agit d’une norme intangible, qui forme par elle-même un tout ».
Le Tribunal fédéral répond ainsi par la négative à la question soulevée et pose qu’un « acte de blanchiment commis par négligence, qui n’est donc pas sanctionné par la loi pénale, ne saurait constituer un acte illicite tel que l’entend l’art. 41 CO ». On notera que la Cour de Justice avait saisi la présente affaire pour revenir sur sa jurisprudence de 1998 et la modifier.
Le Tribunal fédéral s’interroge en conclusion sur la possibilité de fonder l’illicéité sur la violation d’autres normes protectrices, soit la Loi sur le blanchiment d’argent, l’Ordonnance de la CFB en matière de lutte contre le blanchiment d’argent ainsi que les Recommandations du Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux. Si, pour ces dernières, le Tribunal fédéral les exclut très clairement, motifs pris qu’elles ne sont pas contraignantes et s’adressent à des Etats, il en va différemment de la LBA et de l’OBA-CFB. Le Tribunal fédéral se contente de relever leur inapplicabilité dans la mesure où elles sont entrées en vigueur postérieurement aux faits incriminés. On peut légitimement y voir une porte laissée entr’ouverte à une solution différente sous l’empire de ces deux textes législatifs.