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Kaupthing met la garantie des dépôts bancaires suisses à l’épreuve

Le 9 octobre 2008, la Commission fédérale des banques a protégé les déposants de la succursale genevoise de Kaupthing Bank Luxembourg SA en prononçant des mesures protectrices (art. 26 LB) comprenant l’interdiction d’opérer des paiements (à l’exception du remboursement des « petits dépôts » de CHF 5000 max.), la prorogation des échéances au 30 octobre 2008 et la nomination de chargés d’enquête.
La CFB, dont la décision est manifestement concertée avec le CSSF luxembourgeois, est intervenue dans un contexte international particulièrement mouvementé pour Kaupthing et les deux autres grandes banques islandaises : intervention du FSA britannique imposant la vente à ING d’une partie des opérations anglaises de Kaupthing, blocage des actifs d’une autre banque islandaise (Landesbanki) ordonné par le gouvernement britannique sur la base de la législation antiterroriste, puis prise de contrôle des trois banques par le gouvernement islandais.
La succursale genevoise de la filiale luxembourgeoise de Kaupthing, créée en janvier 2008, s’était fait remarquer en proposant, dès juin 2008, sous le nom de Kaupthing Edge et via internet exclusivement, des comptes d’épargne rémunérés à 4 % p.a. La Neue Zürcher Zeitung du 4 juin 2008 s’était certes demandé si cette rémunération très au-dessus du marché ne cachait pas des risques élevés mais avait conclu que la garantie des dépôts en Suisse promettait un « risque nul » aux épargnants qui, tentés par l’offre, n’y investissaient pas plus de CHF 30’000 tout en permettant à Kaupthing d’obtenir des fonds à des conditions meilleures que son coût de refinancement.
Les succursales de banques étrangères n’étant pas tenues de publier des comptes en Suisse, le nombre et le volume des dépôts de la filiale suisse ne sont pas (encore) publics. Ils sont probablement anecdotiques si on les compare aux dépôts confiés par le public aux grands acteurs du marché suisse de détail. Même s’il n’a rien d’une expérience en grandeur nature, ce cas représente le premier test du système de garantie des dépôts introduit aux art. 37h et 37i LB par le législateur en 2003 lors de la révision des dispositions de la loi sur les banques relatives à la faillite, à l’assainissement et à la protection des déposants.
Si le principe d’une garantie des dépôts bancaires s’est quasi-universellement imposé, ses modalités diffèrent fortement d’un Etat à l’autre. Sensibilisée par les mesures d’urgences prises au sein de l’Union européenne, l’opinion publique suisse s’est récemment inquiétée de la protection maximale de CHF 30’000 par déposant et par banque, un montant faible en comparaison internationale. D’autres particularités n’ont pas retenu l’attention, alors qu’elles suggèrent que le système suisse, conçu en période de beau temps pour répondre à une défaillance ponctuelle comme celle de la Spar- und Leihkasse Thun, n’est pas conçu pour affronter une crise systémique :
– Le montant maximal de la protection accordée à tous les dépôts de toutes les banques en Suisse est limité à CHF 4 milliards ; la loi ne prévoit pas ce qui se passe lorsque cette garantie totale est épuisée. Un bref calcul indique que le remboursement de 133’333 dépôts à hauteur de CHF 30’000 suffit à cet épuisement. Le Conseil fédéral peut cependant adapter ce plafond par voie d’ordonnance « dans la mesure où des circonstances particulières l’exigent. »
– Aucun fonds n’est constitué. La mise en œuvre de la garantie se fait par appel de fonds adressé aux banques non défaillantes par une association de droit privé, la Einlagensicherung der Schweizer Banken und Effektenhändler. Cette procédure implique des délais et met une pression accrue sur le système bancaire qui est déjà en mal de liquidités.
– La loi sur les banques exige le règlement immédiat et sans formalités des dépôts inférieurs à CHF 5000 et le remboursement des dépôts garantis dans un délai de 3 mois.
La rapidité des remboursements faits aux créanciers de la branche suisse de Kaupthing donnera une idée de la capacité de rembourser en temps utile les déposants dans un cas de plus grande envergure. La préoccupation n’est pas illégitime si l’on se souvient que, dans une communication CFB du 25 juillet 2008, l’autorité de surveillance invitait publiquement les banques suisses et leurs sociétés d’audit à « accorder une priorité élevée » à la mise en œuvre de la garantie des dépôts entrée en vigueur… le 1er juillet 2004.
En espérant qu’elle reste isolée, l’affaire Kaupthing ne permet cependant pas de tester la viabilité de ce dispositif dans une crise systémique affectant un ou plusieurs grands acteurs de la place financière.
Les outils de gestion d’une crise systémique sont d’une autre nature qu’un dispositif de garantie des dépôts. Celui-ci contribue néanmoins à la prévention des accidents systémiques en renforçant la confiance du public et en diminuant la probabilité d’une « ruée bancaire » bank run… même s’il faut se souvenir qu’une garantie à hauteur de GBP 35’000 (soit env. CHF 70’000) n’a pas empêché l’effondrement de Northern Rock. Même si le gouvernement suisse n’est pas contraint à prendre les mesures d’urgence que certains de ses voisins ont prises pendant cette crise, une révision à froid de notre garantie des dépôts paraît incontournable.