Distribution de produits financiers
Toutes les rétrocessions ne sont pas égales devant la loi
Philipp Fischer
Plus de quatre ans après avoir mis en émoi la place financière suisse en rendant un arrêt très remarqué en matière de rétrocessions (ATF 132 III 460 du 22 mars 2006, cf. Actualité n° 446), le Tribunal fédéral a récemment précisé, dans le cadre d’une cause pénale, le traitement juridique réservé aux rétrocessions, perçues et payées, par des intermédiaires financiers suisses (arrêt 6B_223/2010 du 13 janvier 2011, non destiné à la publication).
Dans son arrêt de principe de 2006, le Tribunal fédéral a jugé que les rétrocessions qu’un gérant de fortune indépendant reçoit de la banque dépositaire des fonds du client sont soumises en principe à une obligation de restitution au client (article 400 al. 1 CO). Une dérogation contractuelle à l’obligation de restitution est envisageable, pour autant que le client ait été informé de l’existence de ces rétrocessions et ait consenti expressément à ce que le tiers gérant conserve les montants reçus à ce titre.
L’arrêt précité s’inscrivait dans le cadre de la gestion privée. S’est alors posée la question de savoir si et dans quelle mesure les considérants de cet arrêt pouvaient être transposés dans le domaine de la gestion collective et de la distribution de produits structurés. En pratique, les promoteurs de produits financiers concluent fréquemment des contrats de distribution avec d’autres intermédiaires financiers (typiquement des banques). L’activité de distribution (et la fourniture de certains services annexes) est rémunérée par le versement de rétrocessions, représentant notamment (i) une fraction des commissions d’émission et de rachat du produit financier considéré, (ii) une fraction de la commission de gestion (« commission d’état » / « Bestandespflegekommission ») ou (iii) une réduction sur le prix d’émission en cas de prise ferme d’un produit structuré par le distributeur (« placement fee »).
L’arrêt présenté ici aborde ces questions dans le cadre d’une procédure pénale initiée contre un employé de banque indélicat qui a détourné à son profit des rétrocessions reçues par son employeur dans le cadre de la distribution de produits structurés. La dernière instance cantonale a refusé de retenir l’infraction de gestion déloyale (article 158 al. 1 CP), au motif que les rétrocessions en question devaient revenir aux clients de la banque et que le détournement de ces montants ne saurait donc constituer une gestion déloyale au détriment de l’intermédiaire financier. En substance, la qualification pénale des actes reprochés à l’accusé dépendait donc de la question de savoir si, en faisant abstraction du détournement de fonds intervenu, les rétrocessions en cause auraient pu être conservées par la banque ou si elles auraient dû être reversées aux clients.
Le Tribunal fédéral appuie son raisonnement sur les rapports contractuels distincts qui lient, d’une part, le promoteur du produit financier au distributeur (soit le contrat de distribution) et, d’autre part, le distributeur au client final. Le Tribunal fédéral renonce à qualifier expressément ce second rapport contractuel, mais semble admettre implicitement que l’obligation de restitution prévue à l’article 400 al. 1 CO pourrait s’appliquer, du moins par analogie, dans le cadre de ce rapport contractuel.
Selon le Tribunal fédéral, les rétrocessions payées par le promoteur au distributeur représentent la rémunération de l’activité de distribution, qui n’est pas intrinsèquement liée à la relation contractuelle liant le distributeur au client final. Contrairement au tiers gérant dans le cadre d’une relation de gestion privée, le distributeur ne perçoit pas les rétrocessions « du chef » de sa relation avec le client final, mais plutôt à titre de contre-prestation pour des services en matière de distribution fournis au promoteur. Le Tribunal fédéral arrive donc à la conclusion que les rétrocessions versées en l’espèce dans le cadre de la distribution de produits structurés ne tombent pas sous le coup d’une obligation de restitution au client et peuvent être librement conservées par la banque. Sur cette base, le Tribunal fédéral casse l’acquittement dont a bénéficié l’accusé.
Les considérants de cet arrêt, bien que rendu par la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral (alors que l’arrêt de 2006 avait été rendu par la 1ère Cour de droit civil), apportent une certaine sécurité juridique dans le domaine de la distribution de produits structurés. La portée de cet arrêt peut, à notre sens, être étendue aux activités de distribution de parts de placements collectifs. En retenant qu’un intermédiaire financier peut librement conserver les rétrocessions, pour autant (i) qu’elles rémunèrent un véritable service (par exemple des activités promotionnelles ou la mise à disposition de la documentation relative au produit financier) et (ii) qu’elles ne soient pas intrinsèquement liées à la relation liant l’intermédiaire financier au client final, le Tribunal fédéral rejoint la position adoptée par la Swiss Funds Association dans sa Circulaire n° 22/06 du 5 décembre 2006. La solution prônée par le Tribunal fédéral fait également écho aux Directives sur le mandat de gestion de fortune de l’Association suisse des banquiers, qui distinguent les prestations « intrinsèquement liées au mandat » (qui tombent sous le coup de l’obligation de restitution ancrée à l’article 400 al. 1 CO) de celles reçues seulement « dans le cadre de l’exécution du mandat » (non-soumises à l’article 400 alinéa 1 du CO) (cf. commentaire du Chiffre 16 des Directives sur le mandat de gestion de fortune).