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Assurance responsabilité civile

De la prescription en droit des assurances privées

Un récent arrêt du Tribunal fédéral (arrêt 4A_645/2010 du 23 février 2011, non destiné à la publication ) met en exergue les écueils auxquels une banque peut se voir confrontée lorsqu’elle fait appel à sa couverture d’assurance responsabilité civile. Dans le cas d’espèce, une banque avait souscrit une couverture d’assurance afin de se prémunir contre les conséquences préjudiciables qui découleraient d’un comportement frauduleux de l’un de ses employés.
Les conditions générales d’assurance (les « CGA« ) prévoyaient un délai de prescription de deux ans à compter de la « réalisation de l’évènement qui cause un sinistre ». Une règle spéciale s’appliquait si la prétention de la banque (assurée) contre l’assureur découlait d’un jugement rendu contre la banque suite à une prétention formulée par un tiers lésé (typiquement un client de la banque). Dans un tel cas de figure, la prescription courait à compter du « jour où le jugement est devenu exécutoire ». Par ailleurs, les CGA prévoyaient que si « le sinistre fait l’objet d’une […] instruction pénale », le paiement de la prestation d’assurance n’était pas exigible tant que la procédure pénale était en cours.
Les faits pertinents peuvent être résumés comme suit : en 1999, un auxiliaire de la banque commit des malversations au détriment de certains clients de la banque. Dans le courant de l’année 2000, la banque conclut des transactions avec les clients concernés en vue de les indemniser pour le préjudice causé par l’auxiliaire félon. La condamnation pénale de ce dernier pour abus de confiance, escroquerie et faux dans les titres devint définitive le 23 février 2004. Dans un délai de deux ans à compter de cette date, le 22 février 2006, la banque intenta action contre l’assureur afin d’obtenir, notamment, le remboursement de l’indemnisation versée aux clients. L’assureur excipa de prescription.
Le raisonnement du Tribunal fédéral s’articule autour de l’article 46 al. 1 de la Loi sur le contrat d’assurance (« LCA« ), disposition à laquelle il ne peut être dérogé contractuellement au détriment de l’assuré (article 98 al. 1 LCA). Cet article prévoit que les créances qui découlent du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans à compter du « fait d’où naît l’obligation ». Rapportés au domaine de l’assurance responsabilité civile, ces termes renvoient (A) à la date à laquelle la condamnation judiciaire de l’assuré à indemniser le tiers lésé devient exécutoire ou (B) à la date à laquelle l’assuré conclut une convention d’indemnisation avec le tiers lésé.
Le Tribunal fédéral relève qu’en l’espèce, la prescription courait à compter de la date à laquelle la banque a conclu les conventions d’indemnisation avec les clients concernés. En revanche, selon le Tribunal fédéral, le résultat de la procédure pénale initiée contre l’employé indélicat ne concrétisait pas le droit à l’indemnisation de l’assuré et n’avait donc aucune incidence sur le délai de prescription. La prétention de la banque contre l’assurance se prescrivait donc dans les deux ans à compter des transactions passées avec les clients en 2000, et non pas dans les deux ans qui suivaient la condamnation pénale de l’employé indélicat, intervenue en 2004.
Dans son raisonnement, le Tribunal fédéral déconnecte la question de la prescription de celle de l’exigibilité, en retenant que l’article 130 al. 1 CO (qui prévoit que la prescription court dès l’exigibilité) ne s’applique pas dans le domaine de l’assurance privée. En procédant à une interprétation des CGA fondée sur le principe de la confiance, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion qu’en l’espèce, les parties ont cherché à repousser l’exigibilité de la prestation de l’assureur jusqu’au terme de l’éventuelle procédure pénale, sans toutefois reporter le début du délai de prescription. Ce faisant, le Tribunal fédéral admet, implicitement, que les termes du contrat d’assurance conclu en l’espèce peuvent mener à une situation dans laquelle la prétention de l’assuré contre l’assureur se prescrit avant même d’être exigible. Ce résultat sévère s’explique peut-être par le fait que l’assuré était une banque. Cet arrêt ne s’inscrit pas dans la tendance d’une interprétation des contrats d’assurance favorable aux assurés que le Tribunal fédéral avait initié dans deux arrêt rendus en 2008 (à ce sujet, cf. Alexandre Richa, Jurisprudence civile récente, in : Journée 2009 de droit bancaire et financier, Genève/Zürich/Bâle 2010, pp. 171 ss. ).
Les institutions financières qui, par le biais d’une assurance, cherchent à limiter les conséquences financières d’une mise en cause de leur responsabilité civile peuvent tirer au moins deux enseignements de cette jurisprudence.
En premier lieu, le Tribunal fédéral retient qu’un paiement effectué suite à une transaction passée avec un tiers lésé peut donner lieu à une prestation d’assurance, même si le texte des CGA ne couvre que l’hypothèse dans laquelle l’assuré est condamné judiciairement à indemniser le tiers lésé. Cela étant, les conditions d’assurance prévoient fréquemment que la couverture d’assurance est limitée aux seules transactions qui ont été avalisées par l’assureur.
En second lieu, cet arrêt rappelle que, dans le cadre de la négociation des conditions d’assurance, il convient d’être très attentif aux interactions possibles entre les différentes dispositions des CGA (notamment s’agissant de l’exigibilité et de la prescription). Par ailleurs, l’impact des dispositions impératives et semi-impératives de la LCA doit être pris en compte. Après avoir conclu la couverture d’assurance, l’assuré devra mettre en place une organisation interne qui lui permet de se conformer aux différentes obligations qui lui incombent, notamment s’agissant des exigences formelles et temporelles applicables à l’avis de sinistre et au délai de prescription.
Finalement, il est à noter que, dans le cadre d’un projet de révision de la LCA qui sera prochainement débattu aux Chambres fédérales, le délai de prescription semi-impératif prévu dans la loi devrait en principe passer de deux à cinq ans.