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Entraide administrative en matière fiscale

De la nécessité d'un retour à la rigueur juridique

Depuis près d’une semaine, presse, politiques et citoyens suisses commentent le dernier volet d’un démêlé fiscal avec les Etats-Unis sur fond de secret bancaire. L’affaire a commencé il y a bientôt trois ans. Cette fois, c’est la banque Wegelin, la plus ancienne de Suisse, qui est inculpée par la justice américaine. On a pu lire, çà et là, les soupçons qui pèsent sur la banque : elle (ou ses responsables) aurait « favorisé l’évasion fiscale », « participé à la commission d’actes de soustraction fiscale » ou de « fraude fiscale ».
Au-delà des polémiques et des spéculations sur les enjeux à demi-couverts (lutte économique, démarche politique), il nous paraît nécessaire de dissiper certaines confusions dans les termes, car chacun d’entre eux recouvre des concepts juridiques bien différents.
L’évasion fiscale n’est pas la soustraction fiscale qui n’est pas la fraude fiscale.
En droit suisse, la théorie de l’évasion fiscale ne repose pas sur la loi, mais sur la jurisprudence du Tribunal fédéral. La constatation d’un cas d’évasion fiscale autorise le fisc à s’écarter – dans un cas particulier et à trois conditions strictes – des conséquences fiscales de la structure juridique mise en place par le(s) contribuable(s). Lorsque la structure est insolite (i), qu’elle vise uniquement à économiser des impôts (ii) et qu’elle le permettrait effectivement sans intervention du fisc (iii), alors celui-ci peut nier les rapports juridiques établis, au profit de la réalité économique. Pour le dire simplement (et quoique le fondement dogmatique de l’institution soit discuté), l’évasion fiscale est une manifestation particulière en la matière de la théorie de l’abus de droit (CC 2 II). Elle consiste à refuser à son titulaire l’usage d’un droit, parce que, dans le cas d’espèce, il en « abuse ». Cela étant, admettre qu’il y a évasion fiscale ne procède pas de la reconnaissance d’un délit et ne fait du contribuable, ni un délinquant, ni a fortiori un criminel.
Certes dans le langage international (ou celui de l’OCDE), l’évasion fiscale peut signifier autre chose : elle désigne le fait de dissimuler au fisc une partie ou l’intégralité de ses revenus en omettant de les déclarer, de sorte que le fisc se trouve privé d’une partie de sa créance. En droit suisse, ce comportement est constitutif de soustraction (LIFD 175) et se distingue, à l’évidence, de l’évasion fiscale au sens où l’entend le TF. La soustraction est une infraction fiscale à caractère pénal, tandis que l’évasion fiscale n’est qu’une « forme de planification » jugée trop agressive par l’autorité.
Enfin, la soustraction fiscale se distingue de la fraude (LIFD 186, usage de faux), non par son résultat, mais par l’intensité délictuelle du comportement reproché. La fraude fiscale est un délit qui suppose que le contribuable ne se contente pas d’omettre des éléments imposables dans sa déclaration (comme pour la soustraction), mais qu’il recoure, en outre, à l’utilisation de faux documents pour tromper le fisc.
Pour rappel, cette distinction entre soustraction fiscale et fraude fiscale existe encore en droit interne et conditionne l’opposabilité du secret bancaire. En présence d’une situation à caractère international, elle n’a plus de portée depuis que la Suisse pratique l’assistance administrative selon les standards de l’OCDE. La soustraction (tout comme la fraude) permet désormais la levée du secret bancaire (à ce sujet, voir LIEGEOIS, Secret bancaire et assistance administrative en matière fiscale, RDAF 2011 II 1).
En résumé, la logique de ces trois notions juridiques est celle de la gradation (du moins grave au plus grave dans l’inconduite fiscale) :

  1. évasion fiscale : non-reconnaissance du rapport juridique établi ;
  2. soustraction fiscale (appelée évasion fiscale dans la presse internationale et dans les rapports de l’OCDE) : contravention fiscale ;
  3. fraude fiscale : délit fiscal.

Ces délimitations demeurent valables en droit interne, pour l’instant. Chacun sait toutefois qu’en y renonçant sur le plan international, la Suisse a accordé une concession aux partenaires économiques concernés. D’autres ont suivi et suivront encore.
S’agissant de la banque Wegelin, et, à teneur de l’acte formel d’inculpation (disponible sur internet : Indictment), il semblerait que des comptes aient été ouverts, aux noms de « sociétés fictives » (sham corporations), aux seins de juridictions telles que le Panama, Hong-Kong ou le Liechtenstein, en vue de permettre à des contribuables américains de dissimuler des avoirs. De même, la banque aurait-elle repris certains clients de l’UBS suite à la mise en cause de cette dernière. C’est ainsi, à tout le moins, pour participation à des actes de soustraction fiscale que la banque suisse est appelée à comparaître devant la justice américaine.
Le cas présente naturellement des similitudes avec celui de l’UBS (voir commentaire du 9 février 2010 de Frédéric Neukomm), ce qui autorise des conjectures quant à ses développements, quoiqu’il soit encore trop tôt pour se prononcer sur la nature exacte des faits reprochés à Wegelin, et, dans son sillage, peut-être à une dizaine d’autres établissements helvétiques.