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Produits structurés "à capital garanti"

Devoirs d'information à charge de la banque

Dans un arrêt du 3 février 2012 (arrêt n° 4A_525/2011, non destiné à la publication), le Tribunal fédéral s’est penché sur le cas d’un investisseur qui réclamait à sa banque une indemnisation pour la perte subie suite à un investissement dans un produit structuré intitulé « Capital Protected Unit Plus  » et émis par le groupe Lehman Brothers. Ce nouvel épisode de la saga judiciaire relative aux produits structurés « à capital garanti » fait écho, sans le citer, à l’arrêt du TF du 12 décembre 2011 dans la cause n° 4A_383/2011 (cf. commentaire n° 788).
Dans la présente affaire, une cliente cherchait à obtenir le remboursement de son préjudice en invoquant une violation des devoirs incombant à la banque en sa qualité de conseillère en placements. La cliente a fondé ses prétentions sur l’article 11 LBVM (s’agissant de la portée de droit civil de cette disposition, cf. commentaire n° 707) et sur le contrat de conseil en placements (advisory) qui la liait à la banque. Si – tout comme dans l’arrêt précité du 12 décembre 2011 – le Tribunal fédéral déboute la cliente de ses prétentions, l’arrêt discuté ici présente la particularité d’être rédigé de manière particulièrement didactique et de discuter de manière détaillée les devoirs d’information et d’avertissement à charge de la banque agissant en qualité de conseillère en placements.
En premier lieu, le Tribunal fédéral aborde la question du devoir d’information sur les risques. L’article 11 LBVM impose à tout négociant un devoir d’information sur les risques liés à un type de transactions donné (et non pas sur les risques découlant d’une transaction déterminée), étant précisé que (i) cette information doit être modulée en fonction de l’expérience et de l’état de connaissance des clients concernés et que (ii) le droit suisse ne connaît pas (encore) l’obligation d’informer sur le caractère approprié d’une transaction (suitability test). En l’espèce, l’investisseur dans le produit structuré litigieux était exposé à un risque de solvabilité de l’émetteur et à un risque de taux d’intérêts. La cliente reprochait à la banque d’avoir failli à son devoir d’information s’agissant du risque de solvabilité, qui s’est concrétisé de manière particulièrement aiguë suite à la déconfiture du groupe Lehman Brothers. Le Tribunal fédéral retient, pour sa part, que le risque de solvabilité de l’émetteur est un risque « usuel » (übliches Risiko), sur lequel la banque ne doit pas spécifiquement attirer l’attention de son client. Ce faisant, le Tribunal fédéral semble reprendre, sans le citer, l’article 3 (2) des [Règles de conduite pour négociants en valeurs mobilières édictées par l’Association suisse des banquiers (« Le négociant peut en principe admettre que chaque client connaît les risques habituellement liés à l’achat, à la vente et à la détention de valeurs mobilières. En font partie en particulier les risques de solvabilité et de cours des actions, des obligations et des parts de fonds de placement. »).
Dans ce contexte, le Tribunal fédéral prend soin de préciser que le concept de risque de solvabilité de l’émetteur est le même, que l’on se trouve en présence d’un produit financier simple (e.g., une obligation) ou complexe (e.g., un produit structuré). Un investissement dans un produit structuré n’implique donc pas un devoir d’information accru en matière de risque de solvabilité de l’émetteur. Quant à l’argument fondé sur le caractère prétendument trompeur de l’appellation  » Capital Protected Unit « , le Tribunal fédéral renvoie laconiquement la cliente aux termes du fact sheet du produit structuré, qui indiquaient que la « protection » du capital se concrétisait par un remboursement du montant investi par l’émetteur et dépendait donc de la solvabilité de ce dernier. L’arrêt n’indique en revanche pas si et quand ce fact sheet  a été remis à la cliente.
En second lieu, cet arrêt amène le Tribunal fédéral à examiner la question de savoir si la banque a violé un devoir d’avertissement (Warnpflicht) en omettant d’attirer l’attention de sa cliente sur les difficultés financières rencontrées par le groupe Lehman Brothers et de lui conseiller de vendre le produit financier litigieux avant le début de la procédure concordataire américaine (Chapter 11) en septembre 2008. A titre liminaire, le Tribunal fédéral retient que la reconnaissance d’un tel devoir d’avertissement à charge de la banque imposerait de facto à celle-ci l’obligation de surveiller sur une base continue les investissements de ses clients. La fourniture d’un tel service doit en principe faire l’objet d’un accord spécifique entre la banque et son client. En l’absence d’un tel accord ou d’un mandat de gestion de fortune, la banque, agissant en qualité de simple conseillère en placements, n’a pas de devoir général de surveiller les investissements de ses clients. Cela étant, le Tribunal fédéral réserve les cas exceptionnels dans lesquels la banque doit, lorsqu’elle est en contact avec son client, attirer l’attention de ce dernier sur des situations problématiques patentes (offensichtliche Problemsituationen). Tel n’était pas le cas en l’espèce. Selon le Tribunal fédéral, la déconfiture du groupe Lehman Brothers a pris les acteurs des marchés financiers (et en particulier les agences de notation de crédit) par surprise. Par ailleurs, contrairement à l’argument avancé par la cliente, l’on ne saurait imputer à la banque défenderesse la connaissance de l’ex-CFO du groupe Lehman Brothers, que la banque défenderesse avait engagée durant l’été 2008.
Le concept de catégorisation des risques selon leur caractère « usuel » ou non et les développements consacrés au devoir d’avertissement de la banque ne sont pas révolutionnaires en tant que tels, mais constituent néanmoins des apports intéressants à la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de contrat de conseil en placements. Le principe général reste toutefois inchangé : un investissement malheureux n’est pas synonyme de devoir d’indemnisation à charge de la banque ; il incombe au client d’établir la violation d’un devoir découlant du droit civil ou de l’article 11 LBVM.