Trusts
Saisie provisionnelle des biens d'un trust dans une procédure de divorce contre le settlor
Aude Peyrot
Dans un arrêt du 26 avril 2012 (5A_259/2010), rédigé en français, le Tribunal fédéral (ci-après TF) a admis la saisie provisionnelle de biens détenus en trusts et sis à l’étranger dans le cadre d’une procédure de divorce entre le settlor et son épouse.
En juin 2005, le recourant, soumis au régime suisse de la participation aux acquêts, a constitué deux trusts irrévocables discrétionnaires de droit chypriote. Leur constitution est intervenue deux mois après que son épouse ait refusé de conclure un contrat de mariage qu’elle tenait pour lésionnaire. Le settlor a transféré dans ces trusts l’essentiel de son patrimoine acquis postérieurement au mariage. Le cercle des bénéficiaires des deux trusts était constitué du settlor lui-même et de ses deux filles, à l’exclusion de son épouse. Le settlor était en outre le protecteur des trusts, avec notamment le pouvoir de nommer ou de révoquer les trustees, d’ajouter ou d’exclure des bénéficiaires ainsi que le pouvoir d’instruire les trustees par écrit quant à l’administration de special companies. En décembre 2008, l’épouse a requis le divorce et la liquidation du régime matrimonial auprès du Tribunal de première instance de Genève. Sur recours, la Cour de justice (ci-après la Cour) a imposé à l’époux une restriction du pouvoir de disposer de ses biens, qu’ils soient détenus directement ou indirectement par le biais de trusts (art. 178 al. 1 CC), cette restriction ayant par ailleurs été étendue aux trustees. La Cour a en outre ordonné la saisie provisionnelle de ces biens (art. 178 al. 2 CC). Ces mesures provisionnelles visaient à garantir les droits de l’épouse dans la liquidation du régime matrimonial.
Dans son arrêt, le TF a confirmé ce résultat après avoir réexaminé sous l’angle de l’arbitraire les divers moyens retenus – sans claire délimitation – par la Cour : application de la théorie de la transparence ou « Durchgriff », application analogique de la jurisprudence en matière de séquestre de biens fiduciaires, interdiction de l’abus de droit à titre subsidiaire. Le premier moyen a, en particulier, retenu l’attention du TF. La théorie de la transparence permet de faire abstraction de la personnalité juridique d’une entité afin d’attribuer ses actifs ou passifs à la personne qui la domine. Elle est susceptible d’être appliquée lorsque l’entité est un simple instrument dans la main de son auteur, lequel ne fait économiquement qu’un avec elle. Dans son arrêt, le TF a jugé qu’il n’est point arbitraire d’appliquer la théorie de la transparence à un trust, lorsque le settlor a conservé des pouvoirs de gestion étendus et que le trust ne représente qu’un simple outil dans ses mains. Tel était, selon lui, le cas in casu au vu des circonstances précitées. Alors que la théorie de la transparence est en principe soumise au droit (étranger) qui gouverne l’entité juridique (ATF 128 III 346), le TF a considéré qu’elle pouvait être soumise au droit suisse en présence de mesures provisoires requérant une procédure sommaire et rapide (cf. aussi ATF 5P.355/2006 du 8 novembre 2006, cons. 4.2.).
Le TF a par ailleurs considéré qu’il n’était pas arbitraire d’admettre la compétence des tribunaux suisses pour ordonner des mesures provisionnelles sur des biens sis à l’étranger. Selon le TF, les prétentions des époux résultant de la liquidation du régime matrimonial se rapportent à la totalité des biens matrimoniaux indépendamment de leur lieu de situation, de sorte qu’il peut en aller de même des mesures provisionnelles. A défaut, l’étendue de la protection de l’art. 178 CC serait réduite. Il convient de relever que cette solution consacre un revirement de jurisprudence par rapport à la position antérieure de la Cour de Genève qui déniait la compétence du juge suisse pour prononcer des mesures provisionnelles sur des biens à l’étranger faute pour ces dernières de pouvoir ensuite être exécutées (cf. SJ 1990 p. 196). Le TF réserve dans son arrêt la question de l’exécution forcée des mesures provisionnelles.
Il convient de relever que jusqu’alors, dans la jurisprudence étrangère et suisse, le principal moyen permettant de passer outre la réalité du trust et d’attribuer les biens du trust au settlor était l’invocation du sham trust. Ce moyen est toutefois d’application mal aisée pour les juristes suisses, car il relève directement du droit étranger qui gouverne le trust et peut varier avec ce dernier. Avec l’application de la théorie de la transparence aux trusts et la soumission de ce moyen au droit suisse (à tout le moins au stade des mesures provisionnelles), les juges suisses disposent d’un moyen propre, dont ils pourraient maîtriser les contours. L’on relèvera incidemment que le TF a confirmé ici une tendance déjà amorcée dans la jurisprudence cantonale zurichoise (cf. décision EQ 0600061/U du Bezirksgericht Zurich du 13 février 2007).
L’arrêt du TF appelle toutefois certaines remarques.
- En premier lieu, les développements du TF et de la Cour s’inscrivent presque totalement en dehors du cadre posé par la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 sur les trusts. Or, le principe et les limites à la reconnaissance d’un trust étranger doivent être strictement examinés sur cette base, étant rappelé que la Convention lie la Suisse depuis le 1er juillet 2007. La systématique conventionnelle est la suivante : un trust étranger est reconnu et déploie ses effets en Suisse (art. 11 Convention), sauf s’il heurte une règle impérative d’une matière autre que le trust (art. 15 Convention), une loi d’application immédiate (art. 16 Convention) ou l’ordre public (art. 18 Convention). Dans le cadre d’une procédure de divorce, il appartient ainsi au juge suisse de rechercher en première ligne, sur la base de l’art. 15 de la Convention, une règle impérative du droit matrimonial permettant de reconnaître à l’époux(se) des prétentions sur les biens mis en trust par l’autre époux. C’est seulement à défaut que la réserve de l’ordre public peut entrer en ligne de compte, étant précisé que le moyen conserve un caractère exceptionnel. Dans leurs décisions, le TF et la Cour n’ont pas strictement appliqué cette méthode. Au surplus, les principaux moyens retenus (théorie de la transparence et application de la jurisprudence en matière de séquestre) n’ont pas été expressément rattachés à l’une ou l’autre des normes conventionnelles précitées.
- En deuxième lieu, la théorie de la transparence ou de la « levée du voile social » est un moyen tiré du droit des sociétés qui vise à passer outre la personnalité juridique d’une entité. Le trust est quant à lui précisément dépourvu d’une telle personnalité juridique, de sorte qu’il n’y a pas à strictement parler de voile social à lever. Dans les pays anglo-saxons, l’application du moyen correspondant (« piercing the veil ») est du reste largement controversée. L’on peut dès lors se demander s’il s’agit, sur le plan dogmatique, du moyen le plus approprié. A titre incident, l’on relèvera que le TF a procédé dans son arrêt à certaines assimilations entre le trust et la personne morale, ce qui n’a pas lieu d’être.
- Enfin, il convient d’insister sur le fait que l’application de la théorie du Durchgriff au trust, à supposer qu’elle puisse être admise sur un plan dogmatique, devrait conserver un caractère tout à fait exceptionnel. Elle requiert en outre un examen particulièrement minutieux des circonstances du cas d’espèce. Si l’application du Durchgriff devait se confirmer, il appartiendrait en tous les cas aux juges de trouver la juste délimitation entre une influence admissible et une influence inadmissible du settlor dans le trust.
En définitive, il appartient aux juges suisses de veiller à procéder à l’intérieur du cadre fixé par la Convention de La Haye et d’appliquer de façon stricte, ciblée et parcimonieuse les moyens permettant de faire abstraction d’un trust, de peur de remettre en cause l’efficacité de tout trust en Suisse.