Loi sur les services financiers (LSFin)
Principaux éléments et points de disscussion de la nouvelle loi
Rashid Bahar
Le 18 février 2013, le Département fédéral des finances a publié son rapport « Loi sur les services financiers : Eléments principaux d’une réglementation possible » qui a été suivi par une audience publique le 7 mars 2013. Ce rapport et l’audience qui l’a suivi annoncent le début de travaux d’envergure dans le domaine financier qui visent à combler l’écart entre la législation suisse et la réglementation européenne. Le projet s’annonce autour de cinq grands axes :
- le renforcement de la surveillance des gérants de fortune ;
- des exigences de documentation accrues relatives aux caractéristiques des produits financiers ;
- l’instauration de règles de conduite uniformes pour les prestataires de services financiers accompagnée d’exigences relatives à la formation et au perfectionnement des conseillers à la clientèle ;
- l’amélioration de la mise en œuvre des prétentions civiles de clients privés, et
- la réglementation des prestations de services transfrontières vers la Suisse.
Sur le plan de la technique législative, l’approche est originale. A ce stade, le projet se contente d’énoncer quelques grands principes de la réglementation à venir et pose des questions relatives à leur mise en œuvre. Ces points ont fait l’objet d’un débat public qui sera suivi de prises de position écrites qui devront être soumises avant le 28 mars 2013. Sur la base de ce processus, l’administration préparera d’ici à l’automne 2013 un avant-projet de loi qui fera l’objet d’une procédure de consultation formelle.
Dans une large mesure, la réglementation sur la documentation est empreinte par la volonté de transposer en droit suisse les principales orientations du droit européen en la matière, de la Directive sur les marchés d’instruments financiers à la Directive sur le prospectus, tout en reprenant les principales idées du Règlement sur les produits d’investissement structurés, une question ouverte étant le degré de liberté que le législateur sera enclin à prendre dans la mise en œuvre du droit européen.
Le premier volet envisage, d’une part, de soumettre les gestionnaires de fortune aux mêmes règles que les autres prestataires de services financiers et de les assujettir à une surveillance prudentielle, qui pourrait être le fait soit d’un organisme d’autorégulation perpétuant, dans une large mesure, le modèle actuel avec ses avantages et inconvénients soit de la FINMA directement. En même temps, le projet envisage de remplacer l’actuel régime d’autorisation des distributeurs de placement collectifs et des intermédiaires d’assurance par l’obligation d’enregistrement prévue pour les conseillers à la clientèle et même de supprimer entièrement le droit des intermédiaires financiers non soumis à une surveillance prudentielle de s’assujettir directement à la FINMA pour la mise en œuvre de la législation destinée à la lutte contre le blanchiment d’argent.
S’agissant de la documentation, le rapport suggère d’introduire une obligation générale d’établir un prospectus pour toute offre publique de valeurs mobilières, qui irait plus loin que les exigences rudimentaires du code des obligations. S’agissant de produits d’investissement complexes, le prospectus devrait être complété par un document d’information clé pour l’investisseur. A l’exemple du droit européen, les offres destinées aux investisseurs qualifiés et à un cercle réduit de personnes, notamment, devraient faire l’objet d’exceptions à l’obligation de présenter un prospectus. Certains allègements seraient, par ailleurs, offerts aux petites et moyennes entreprises et les small caps, qui pourraient ainsi se contenter d’un prospectus simplifié. La mise en œuvre de ces exigences serait renforcée par la mise en place d’un contrôle préventif par la FINMA ou une autre institution – la Commission des OPA ou la SIX Swiss Exchange ont ainsi été évoqués. Enfin, le recours au remède correctif que constitue la responsabilité du fait du prospectus devrait être facilité par l’instauration d’une présomption de causalité entre une déclaration incorrecte dans le prospectus et le dommage d’un investisseur.
Le troisième volet se concentre sur les règles de conduite applicables à tous les prestataires de services financiers, peu importe leur statut réglementaire, en reprenant le cadre existant en droit européen selon la Directive sur les marchés d’investissements financiers. Le rapport propose sur ce point d’introduire des obligations d’information extensives sur les caractéristiques, coûts et risques des services et produits offerts à la charge des prestataires de services financiers. Ces derniers devront, à l’exemple du droit européen, se renseigner sur la sophistication de leurs clients et leur appétit au risque, puis les classer dans divers segments. Par la suite, s’ils considèrent qu’un investissement n’est pas approprié pour le client (appropriate), ils devront l’en informer. Comme c’est déjà le cas en droit privé, il devront également s’assurer que d’éventuelles recommandations qu’ils formulent dans le cadre d’un mandat de gestion de fortune ou de conseil en placement est adaptée (suitable) au client. Dans l’hypothèse de relations execution only, ils devront limiter leur offre à des produits simples. L’ensemble de ces points devra ensuite être documenté, mais non verbalisé.
Le projet prévoit de plus que des mesures destinées à éviter les conflits d’intérêts soient prises. Dans ce contexte, le projet s’intéresse également à la question controversée des rétrocessions en prévoyant que ces rémunérations, pour être permissibles, doivent non seulement être dévoilées et ne pas mettre en péril les intérêts du client, mais aussi positivement contribuer à la qualité des services. D’ailleurs, le projet suggère même d’aller plus loin et d’interdire ces paiements dans certaines circonstances, par exemple dans le cadre de la gestion de fortune ou du conseil en placement, comme le fait désormais le droit anglais et l’envisage MiFID II.
Afin de garantir la mise en œuvre de ces règles de conduite ainsi que le professionnalisme des prestataires de services, le projet prévoit d’exiger une obligation de formation et de perfectionnement pour les conseillers à la clientèle, qui ne pourront fournir des services à la clientèle que s’ils sont enregistrés dans un registre public. De plus, la mise en œuvre de prétentions civiles de clients devrait être facilitée par deux mesures supplémentaires : premièrement, le fardeau de la preuve du respect des règles des conduite sera mis à la charge du prestataire de services, deuxièmement, les litiges avec les clients pourront être portés devant une instance de médiation avec le pouvoir de rendre des recommandations, qui, si elles ne sont pas suivies d’effet en faveur du client, auraient pour effet que les frais de justice seraient à la charge du prestataire sans égard au résultat au fond (cf. art. 107 CPC), voire même soumis à une instance de conciliation étatique avec un pouvoir décisionnel. Le rapport n’examine pas la question des actions collectives à l’américaine, mais réserve un autre rapport qui devra être présenté au Conseil fédéral dans le courant de l’année.
Enfin, le rapport envisage de se départir d’une stricte application du principe de territorialité dans la réglementation de la prestation de services transfrontière vers la Suisse. Ainsi, si des prestataires étrangers, même sans présence physique permanente sur territoire helvétique, entendent fournir des services à des clients en Suisse, ils devront, d’après le rapport, respecter les règles de conduite suisses, voire être enregistrés en Suisse ou même – s’inspirant de MiFID II – disposer d’une succursale en Suisse, ce qui limitera de façon significative l’accès au marché pour les prestataires de pays tiers.
En synthèse, le Rapport sur la loi sur les services financiers annonce de nombreux changements fondamentaux pour la place financière suisse. En comparaison internationale, il s’agit dans l’ensemble plus d’une remise à niveau avec les standards européens que d’une véritable innovation réglementaire. Toutefois, depuis l’exercice Swisslex dans les années 90, l’écart entre le droit suisse et le droit européen s’est creusé dans le domaine financier et ce ne sera pas chose aisée que de le combler, que ce soit pour les autorités de surveillance ou les assujettis. Il reste, dès lors, à voir quelle sera la réception faite à ce projet législatif et s’il aura plus de succès que les Rapports Zimmerli et Zufferey dont les ambitions initiales n’ont abouti qu’à un résultat limité.