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Avoirs défiscalisés

Le TF permet le retrait en espèces

Le 28 octobre 2015, le Tribunal fédéral (4A_168/2015 et 4A_170/2015) a confirmé deux décisions du 12 février 2015 du Tribunal d’Appel du Tessin donnant raison à deux citoyens et résidents italiens dans le litige qui les opposait à un établissement bancaire.

Dans les deux cas, la banque avait adressé en juin 2013 un courrier priant ses clients de signer une déclaration de conformité fiscale. En l’absence de réponse, la banque a annoncé la fermeture des comptes en invitant les clients à fournir les coordonnées d’un compte bancaire afin d’y transférer le solde, tout en précisant qu’un retrait en espèces ne serait pas possible en vertu des conditions générales de la banque. Les clients ont intenté actions devant les tribunaux tessinois afin que droit leur soit confirmé de retirer le solde de leur compte en espèces, puis de clôturer ledit compte.

En raison notamment de la différence entre les montants en jeu, les deux procédures ont pris des chemins différents en première instance. Dans le premier cas, le droit du client de retirer ses avoirs fut considéré comme un « cas clair » au sens de l’article 257 du code de procédure civile, l’instance tessinoise relevant par ailleurs que les avoirs en question de près de EUR 75’000 étaient d’une importance modeste et que la relation contractuelle étant de nature privée, la banque ne pouvait pas unilatéralement opposer de nouvelles conditions générales ou une directive interne sans ratification de celles-ci par le client. Dans le second cas, le juge de première instance décida que le refus de la banque de remettre l’entier des avoirs (environ EUR 560’000) en liquide était justifié vu l’importance de la somme.

Suite à un recours, le Tribunal d’Appel tessinois donna raison aux deux clients dans deux décisions confirmées par le TF. Le raisonnement de notre Haute Cour est le suivant :

Le TF rappelle d’abord le principe selon lequel le client d’un établissement bancaire a le droit d’obtenir, sur la base de sa relation contractuelle avec la banque, le versement de ses avoirs en espèces à la clôture de la relation bancaire, ce sans avoir à justifier au préalable de sa conformité fiscale. Le TF examine ensuite si, sur la base de la situation concrète de ces deux dossiers, les clients pouvaient se voir priver d’un tel droit.

Pour justifier de son refus de libérer les fonds en espèces, la banque a invoqué l’exigence de la garantie de l’activité irréprochable et plus particulièrement la Prise de position de la FINMA à propos des risques juridiques et de réputation dans le cadre des activités transfrontières qui implique que la banque procède à une analyse approfondie des risques présentés par des relations bancaires transfrontières et se dote de directives internes définissant des normes de comportement pour réduire ces risques. A l’appui de cet argument, la banque faisait référence à des directives internes – qu’elle n’a pas produit – lui faisant interdiction d’autoriser un prélèvement au comptant dans les cas d’espèce. Elle soutenait également qu’elle avait informé la FINMA de sa politique de gestion des risques. Le TF suit l’appréciation cantonale selon laquelle la banque n’a pas apporté la preuve de son analyse des risques ni produit ses directives internes et n’a donc pas réussi à démontrer que le paiement en espèces demandé serait contraire à sa politique de gestion des risques. Ainsi le Tribunal d’Appel n’avait pas besoin de décider si les directives internes en matière de gestion des risques juridiques et de réputation peuvent limiter ou totalement exclure le droit du client de retirer ses fonds en espèces à la fin d’une relation bancaire.

La banque soutenait par ailleurs qu’en donnant suite aux instructions du client, elle s’exposait à des poursuites pour violation du droit fiscal et pénal italien et prétendait qu’elle se trouverait ainsi dans un cas d’impossibilité subséquente d’exécuter son obligation au sens de l’article 119 du code des obligations. Le TF ne tranche pas la question et relève que dans la mesure où la banque n’a pas démontré que ces normes de droit étranger lui sont applicables et qu’elles lui feraient en outre interdiction d’exécuter les instructions du client, il n’a pas à approfondir cette question.

A l’invocation de l’article 19 de la loi fédérale sur le droit international privé par la banque qui considérait que des normes impératives de droit italien lui interdiraient de faire droit à la demande des clients, notre Haute Cour ne tranche pas non plus et se contente de relever à nouveau que la banque n’a pas suffisamment motivé en quoi ces normes lui seraient applicables.

Par ailleurs, la banque reprochait aux instances cantonales d’avoir ignoré les normes suisses anti-blanchiment et plus particulièrement l’article 6 de la loi sur le blanchiment d’argent en soutenant qu’en présence d’un retrait en espèces, elle était tenue de vérifier l’arrière plan économique de la transaction et que la clôture du compte, accompagnée d’un tel retrait, était inusuelle au sens de l’article 6 al.2 let a LBA. Le TF confirme à cet égard l’appréciation cantonale et relève que la banque omet d’expliquer pour quels motifs ces normes seraient applicables lorsque le client souhaite reprendre possession de ses fonds alors que la relation bancaire est vieille de plusieurs années, sans pour autant que la banque ait fait usage de ces dispositions auparavant.

Enfin, notre Haute Cour retient que le nouvel article 305 bis du code pénal n’entre en vigueur qu’en janvier 2016, que le droit pénal prévoit le principe de la non-rétroactivité et que la banque n’a pas démontré en quoi le seuil des CHF 300’000 prévu par cette disposition était atteint dans les cas d’espèce.

Ces deux décisions très attendues du TF ne tranchent pas la question de principe qui se pose dans ce type de dossier, à savoir si une banque est en droit de se prévaloir de ses directives internes en matière de gestion des risques ou d’une potentielle violation du droit étranger pour limiter ou même exclure les retraits en espèces de ses clients à l’occasion de la clôture d’un compte bancaire.