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Clawback claims et blocage d’actifs bancaires

Le TF confirme et précise le droit de rétention des banques

Dans un arrêt 4A_540/2015 du 1.04.2016, le Tribunal fédéral (TF) a eu l’occasion de confirmer sa jurisprudence relative aux droits de rétention et de gage des banques en relation avec des actions révocatoires intentées contre ces dernières par les liquidateurs de fonds nourriciers de Bernard L. Madoff Investment Securities (BLMIS).

En substance, une banque genevoise a souscrit en juin 2001 à des parts du fonds Fairfield Sentry Ltd. (le Fonds) en son nom, mais pour le compte de l’un de ses clients. Cette acquisition fiduciaire s’est effectuée pour un montant de 100 000 $ dans le cadre d’une relation de type execution-only, le client ayant au demeurant confirmé par écrit que l’opération était entreprise de sa propre initiative.

En mai 2006, le client a instruit la banque de vendre une partie de sa participation dans le Fonds et s’est vu crédité d’un montant net de 73 759,27 $.

Le scandale Madoff a éclaté en décembre 2008. Le Fonds, qui était lui-même investi dans BLMIS, a perdu toute sa valeur et son évaluation a été suspendue.

En mai 2010, les liquidateurs du Fonds ont intenté une action aux États-Unis contre la banque ainsi que « les ayants droit économiques des comptes ouverts au nom de la banque 1-1000 ». Les liquidateurs réclamaient la restitution des remboursements effectués au titre des rachats des parts du Fonds reçus par la banque. Ils faisaient valoir que les montants reçus par la banque au titre des rachats des parts étaient « excessifs », eu égard à la fraude sur laquelle le Fonds reposait.

En juillet 2010, la banque a informé le client de l’ouverture de cette procédure et a bloqué ses actifs, constitués d’espèces et des parts de divers fonds en se prévalant de l’art. 402 CO, de ses conditions générales et d’un acte de nantissement signé par le client.

En mai 2012, le client a intenté contre la banque une action en paiement et en restitution. Tant le Tribunal de première instance que la Cour de justice (cf. arrêt ACJC/972/2015, du 28.08.2015) ont retenu que la banque n’était pas fondée à bloquer les actifs du client. La banque a alors saisi le TF d’un recours en matière civile.

Dans son arrêt, le TF examine si la banque peut se prévaloir d’une « prérogative » de son droit de gage, en l’occurrence un droit de rétention, en abordant les aspects suivants :

– l’objet du nantissement (consid. 2.2) ;

– l’existence d’une créance de la banque contre le client, c.-à.-d. d’une créance garantie (consid 3.3) ;

– le caractère non-exigible, voire hypothétique de la créance garantie (consid. 3.2.2 et 3.4) ;

– la déterminabilité de la créance garantie au moment de la constitution du gage (consid. 2.3).

S’agissant de l’objet du gage, le TF rappelle qu’un débiteur peut constituer un gage sur une créance qu’il détient lui-même contre le créancier gagiste. Les espèces du client sont ainsi couvertes par le gage. Sans discuter la nature juridique des « participations » que la banque a déposées en son nom propre auprès de tiers, ni même aborder la question du droit applicable à la constitution d’un nantissement sur ces dernières (art. 105 voire 108c LDIP), le TF retient que l’acte de nantissement satisfait à l’exigence de forme écrite (art. 901 al. 1 CC), de sorte que le droit de gage s’étend également aux « participations » du client.

Concernant l’existence d’une créance garantie, respectivement de son fondement juridique, le TF laisse la question ouverte de savoir si le droit de la banque d’être libérée de l’action intentée par les liquidateurs peut reposer sur l’un des alinéas de l’art. 402 CO. Se référant au leading case 4A_429/2014 du 20.07.2015 (cf. RSDA 2015, 399) consécutif à l’arrêt HG1200079-O de l’Handelsgericht de Zurich du 27.05.2014, il rappelle que l’art. 402 CO est de nature dispositive, les conditions générales pouvant faire supporter, comme en l’espèce, les risques liés aux investissements opérés à titre fiduciaire. La banque peut donc déduire de sa relation contractuelle une créance en indemnisation contre son client.

Le TF rejette par ailleurs le grief tiré de la non-exigibilité et du caractère hypothétique de la créance garantie pour les motifs suivants :

– le remboursement dont les liquidateurs exigent la restitution s’inscrit clairement dans la période visée par la procédure américaine ;

– à défaut d’une clause dans les conditions générales selon laquelle le nantissement ne naîtrait qu’avec la créance garantie, le fait que la banque fasse l’objet d’une procédure visant la restitution du montant du rachat des parts du Fonds est déjà suffisant pour permettre l’exercice d’un droit de rétention ;

– il n’est pas relevant que le remboursement des parts soit intervenu plus de deux ans avant la découverte du système de Ponzi mis en place par Madoff, ce qui avait amené la Cour de justice à considérer, d’une part, que les parts du Fonds pouvaient avoir la valeur qui leur était attribuée lors de leur rachat et, d’autre part, que la prescription d’éventuelles prétentions en enrichissement illégitime ne pouvait être exclue.

Quant à la déterminabilité de la créance garantie au moment de la constitution du gage, le TF s’écarte de l’appréciation de la Cour de justice, selon laquelle les faits sur lesquels reposait la créance garantie ne pouvaient être raisonnablement envisagés par les parties. Le TF estime au contraire que la créance garantie est « étroitement liée à une opération d’investissement s’inscrivant dans des relations d’affaires prévisibles ». La créance garantie est donc suffisamment déterminée.

L’arrêt 4A_540/2015 complète l’arsenal jurisprudentiel issu de l’affaire Madoff (cf. notamment TF, 4A_443/2011 du 22.02 2012 et 4A_429/2014 du 20.07.2015) permettant aux banques de bloquer les actifs des clients concernés. Cet arrêt illustre le caractère décisif que peuvent revêtir les conditions générales pour l’issue de litiges de ce type. Il rappelle enfin la nécessité pour les banques de s’assurer, d’une part, de la validité et de l’étendue de sûretés constituées en sa faveur et, d’autre part, de la précision et de l’exhaustivité de la définition des créances qu’elle entend garantir.