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Reddition de compte et preuve à futur

La Cour de justice ferme définitivement la porte à toute remise de documents bancaires par requête de preuve à futur

Dans un arrêt du 24 juin 2016 (ACJC/885/2016), la Cour de justice du Canton de Genève ferme définitivement la porte à toute remise de documents bancaires à un client sur la base d’une requête de preuve à futur en vue d’évaluer les chances de succès d’une éventuelle future action en responsabilité à l’encontre de la banque. Dans un arrêt antérieur rendu le 20 février 2015 (ACJC/185/2015), la Cour de justice avait laissé subsister la possibilité de requérir la remise de documents sur une telle base à condition (i) que ces derniers soient décrits avec précision, (ii) limités dans leur nombre, (iii) que soit indiqué quel document vise à prouver quel allégué précis, et (iv) que le principe de proportionnalité soit respecté (voir commentaire du 19 janvier 2016). La Cour de justice considère dorénavant que cette voie n’est plus ouverte.

Dans le cas d’espèce, un client avait déposé ses avoirs dans une banque dans le cadre d’une relation contractuelle de type execution only. Un fraudeur usurpa alors son identité pour donner des instructions de transferts portant sur plusieurs millions de dollars. Les ordres de paiement avaient été donnés tant par télécopie que par courrier électronique et confirmés par téléphone. A la découverte de la fraude, le client indiqua à la banque que son identité avait été usurpée et demanda la remise de nombreux documents, dont copie des enregistrements téléphoniques internes et externes liés aux comptes. La banque refusa de remettre copie des enregistrements téléphoniques et des documents internes tels que correspondance interne et un rapport interne relatif à la fraude. Le client déposa alors une requête de preuve à futur limitée à la production des enregistrements téléphoniques durant la période de la fraude. Il invoqua l’existence d’un intérêt digne de protection (article 158 al. 1 let. b CPC) à la remise de ces enregistrements qui lui étaient nécessaires pour évaluer les chances de succès d’une éventuelle future action en responsabilité envers la banque. Le client exposa remplir les conditions posées par l’arrêt ACJC/185/2015. Pour ce faire, le client précisa les dates et heures des conversations téléphoniques sur la base d’une liste reçue de la banque et allégué dans le détail les faits liés à la fraude (en particulier le contenu des emails et fax échangés entre la banque et le fraudeur) ainsi que les conditions générales limitant la responsabilité de la banque à la faute grave, cette dernière devant être prouvée par le client dans une éventuelle action en responsabilité.

La Cour de justice a retenu que le client ne disposait en effet pas des informations suffisantes lui permettant d’évaluer le degré de diligence exercé par la banque au moment d’exécuter les transferts litigieux et que la violation de l’obligation de diligence constitue l’une des conditions de la responsabilité de la banque. Certes, dans les conclusions de sa requête de preuve à futur, le client avait requis de la banque un nombre déterminé de documents, décrits de manière précise, qui seraient susceptibles de lui fournir, sur ce point, des renseignements lui permettant le cas échéant de fonder des prétentions en dommages-intérêts. Cela dit, la Cour de justice a considéré que l’arrêt rendu le 16 décembre 2015 par le Tribunal fédéral (ATF 141 III 564) empêche d’obtenir par voie de preuve à futur tout document pouvant être l’objet d’une action en reddition de compte basée sur l’article 400 CO, même si les documents sont limités dans leur nombre, décrits de manière précise avec indication de quel document vise à prouver quel allégué précis. Dans le cas d’espèce, la Cour de justice a retenu que le client cherchait à recueillir des informations sur la manière dont la banque a accompli ses activités en rapport avec un mandat et que ce faisant, il exerçait un droit à la reddition de compte. La Cour de justice a dès lors rejeté la requête de preuve à futur.

L’argumentation de la Cour de justice est passablement surprenante étant donné que dans l’ATF 141 III 564, l’examen de l’arrêt ACJC/185/2015 par le Tribunal fédéral était limité à l’arbitraire (article 98 LTF) et ne disait mot sur la validité d’une requête de preuve à futur portant sur un nombre très restreint de documents. Par ailleurs, la Cour de justice n’a pas reproduit ce raisonnement dans un arrêt ultérieur rendu le 13 juillet 2016 (ACJC/986/2016, consid. 2.2) retenant qu’une requête de preuve à futur circonscrite à des documents précis et concernant une période ancienne, courte et déterminée ne constituait pas une reddition de compte ; la requête de preuve à future ayant néanmoins été également rejetée dans cette affaire faute d’un caractère urgent, respectivement d’un intérêt digne de protection.

Il résulte de ces arrêts que la jurisprudence de la Cour de justice est extrêmement restrictive quant à l’admission de demandes de production de documents par voie de preuve à futur, bien que ses motifs ne soient pas totalement uniformisés. En cas de refus d’une banque de remettre certains documents à un client, ce dernier devra agir par le dépôt d’une action en reddition de compte. Dans ce cadre, une requête en cas clair peut être envisagée. Cette voie a l’avantage d’être plus rapide étant donné que la procédure sommaire s’applique (articles 248 ss CPC). Cette procédure ne peut cependant être empruntée que pour les documents pour lesquels il est clairement établi que le client a un droit d’en obtenir copie. Or, la jurisprudence du Tribunal fédéral est relativement disparate sur la désignation des documents internes devant être remis à un client d’une banque. Reste également ouverte une action basée sur la Loi fédérale sur la protection des données, soumise à la procédure simplifiée (article 243 al. 2 let. d CPC). Les règles délimitant quel type de documents internes doivent être remis au client ne sont toutefois pas aussi clairement établies que celles relatives à la reddition de compte (ATF 138 III 425 ; ATF 139 III 49).