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Courtier en assurances

Qui est le débiteur de la rémunération du courtier ?

En date du 26 août 2016, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt n° 4A_152/2016 (arrêt destiné à la publication) relatif à la rémunération du courtier en assurances. Cet arrêt a donné au Tribunal fédéral l’occasion d’examiner le cadre contractuel dans lequel s’inscrit la rémunération de l’activité d’intermédiation en matière d’assurances privées. Il offre une vision complémentaire à celle qui se dégage de la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de rétrocessions dans le domaine de la gestion de fortune. La situation factuelle peut être résumée comme suit.

Par l’intermédiaire du courtier B SA, la Fondation A (preneur d’assurance) a conclu quatre contrats d’assurance pour l’année 2013. Peu après la conclusion de ces contrats, en décembre 2012, la Fondation A a mis un terme avec effet immédiat au contrat de courtage conclu avec B SA. Le preneur d’assurance a octroyé un mandat à un autre courtier, D SA, et a demandé aux assureurs de payer la commission de courtage à ce dernier.

Le courtier (évincé) B SA tenta, en vain, d’obtenir le paiement de ses commissions de la part des assureurs. Le courtier a alors initié une procédure contre la Fondation A (preneur d’assurance) afin d’obtenir le paiement des commissions. La question juridique soulevée par cet état de fait était de savoir qui, du preneur d’assurance ou des assureurs, était le débiteur de la commission de courtage réclamée par le courtier B SA.

L’industrie des assurances privées connaît un modèle de rémunération des services de courtage très particulier, dans la mesure où la commission due au courtier est généralement intégrée dans la prime d’assurance payée par le preneur d’assurance à l’assureur, puis reversée par ce dernier au courtier (système dit de la Bruttopolice).

Les parties sont liées par trois contrats, à savoir (i) le contrat de courtage (courtier – preneur d’assurance ; Contrat A), (ii) le contrat d’assurance (preneur d’assurance – assureur ; Contrat B) et (iii) le contrat de collaboration (assureur – courtier ; Contrat C). La rémunération du courtier est fixée dans ce dernier contrat. Cela étant dit, dans une perspective économique, cette rémunération est payée indirectement par le preneur d’assurance par le biais de la prime d’assurance.

Deux constructions juridiques sont envisageables afin de déterminer qui est le débiteur de la commission de courtage :

Option 1 : Le Contrat A constitue le fondement de la commission de courtage. Toutefois, dans le cadre du Contrat B, l’assureur reprend la dette du preneur d’assurance envers le courtier (article 175 CO) et s’engage à payer la commission de courtage au courtier (article 112 CO, stipulation pour autrui). Si le preneur d’assurance n’impose pas à l’assureur une telle stipulation pour autrui (respectivement la retire, en instruisant l’assureur de payer les commissions au nouveau courtier), le courtier bénéficie d’une prétention contractuelle directe contre le preneur d’assurance en se fondant sur le Contrat A qui, comme indiqué, constitue la cause juridique de la commission de courtage.

Option 2 : Le Contrat C constitue le fondement de la commission de courtage. Dans cette hypothèse, le courtier dispose d’une prétention contractuelle contre l’assureur (mais pas contre le preneur d’assurance). Cette option implique qu’aucune rémunération n’est due dans le cadre du Contrat A.

Dans le cas d’espèce, le Contrat A prévoyait que l’activité du courtier serait rémunérée par les commissions payées par les assureurs (« durch die von den Versicherungsgesellschaften gezahlte Courtage abgegolten« ). En interprétant cette clause, le Tribunal fédéral a retenu que le courtier avait renoncé à une rémunération dans son rapport avec le preneur d’assurance (Contrat A), en contrepartie d’une créance directe contre les assureurs (Contrat C). Le Tribunal fédéral a donc débouté le courtier B SA de son action contre le preneur d’assurance.

Cet arrêt peut notamment donner lieu aux observations suivantes :

i. Après les nombreux arrêts rendus en matière de rétrocessions (cf. notamment le Commentaire n° 841), cette jurisprudence illustre une autre facette des relations contractuelles triangulaires entre un client final et deux prestataires de services. Traditionnellement, la question était de savoir si le client final bénéficiait d’un droit à la restitution des rétrocessions (perçues, par exemple, par le tiers gérant). Dans l’arrêt commenté ici, la situation est inversée. Se pose la question de savoir si le tiers (ici, le courtier) peut réclamer sa rémunération directement auprès du client ou si le débiteur de cette rémunération est l’autre prestataire de services impliqué. Sur la base des contrats conclus dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a retenu que le courtier doit réclamer sa rémunération à l’assureur (et non pas au preneur d’assurance).

ii. Le Tribunal fédéral a retenu que le client final (le preneur d’assurance), lié au courtier par un contrat assimilable à un contrat de mandat, a renoncé à son droit à la restitution des commissions reçues par le courtier (« womit [die Versicherungsnehmerin] im Umkehrschluss darauf verzichtete, an den Versicherungsmakler geleistete Courtagen herauszufordern« ). Cela étant dit, l’arrêt ne précise pas si les conditions d’un consentement éclairé à la renonciation aux rétrocessions, telles qu’elles découlent de la jurisprudence (cf. notamment le Commentaire n° 773), étaient remplies dans le cas d’espèce.

iii. Finalement, l’arrêt retient que la rémunération du courtier découle du rapport contractuel conclu avec l’assureur (Contrat C), et non pas du rapport contractuel conclu avec le preneur d’assurance (Contrat A). L’on admet donc que la personne à laquelle le courtier doit un devoir de loyauté et de fidélité (à savoir le preneur d’assurance) n’est pas celle qui le rémunère. Une telle situation génère un conflit d’intérêts, qui n’est toutefois pas abordé dans l’arrêt, alors même qu’il constitue la clé de voûte de la jurisprudence en matière de rétrocessions.