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Exclusion de responsabilité selon l'art. 11 LBA

Inexécution d'instruction et blocage préventif interne

Le 20.11.2017, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt 4A_455/2016, destiné à la publication, en matière de responsabilité civile de la banque en lien avec l’inexécution d’un ordre de transfert et l’instauration d’un blocage préventif interne.

Le litige opposait une banque genevoise à l’un de ses clients, une personne proche du frère cadet de Bashar Al-Assad. Suite à une instruction de transfert du 27.04.2011 qu’elle avait jugé inhabituelle, la banque avait initié un processus de clarification et bloqué préventivement les comptes du client.

Quelques semaines plus tard, le nom du client était cité dans l’ordonnance instituant des mesures à l’encontre de la Syrie (aO-Syrie). La banque en avait alors aussitôt informé le SECO et gelé les comptes concernés. Elle avait également procédé à une communication au MROS au vu des circonstances qui créaient selon elle un soupçon fondé. Saisi par le MROS, le MPC n’était toutefois pas entré en matière, se réservant toutefois de se raviser en cas d’éléments nouveaux.

Par la suite, le client informa la banque que le transfert demandé avait pour but l’achat d’un bien immobilier ; le prix de vente devait être acquitté d’ici le 15.09.2011, sous peine de majoration.

Par décision du 14.09.2011, le SECO autorisa la banque à exécuter la transaction compte tenu de son objet. Le lendemain, la banque ne s’exécuta toutefois pas et interpella le SECO sur certains points, avec copie au MPC. Elle relevait notamment que le MPC pouvait considérer l’autorisation du SECO comme un fait nouveau et prendre des dispositions en conséquence. Cette éventualité se réalisa, le MPC ouvrant le 16.09.2011 une instruction pour blanchiment d’argent et ordonnant le séquestre des valeurs.

Le volet pénal de cette affaire connut son épilogue le 11.01.2012 lorsque le TPF ordonna la levée du séquestre (TPF, BB.2011.95 et 106). Le transfert demandé fut finalement exécuté les jours qui suivirent.

En 2013, le client actionna la banque en responsabilité en concluant principalement au versement d’un montant correspondant à la majoration du prix de vente causée par l’inexécution de l’ordre de transfert. Les autorités cantonales de même que le TF rejetèrent les prétentions du client.

Le TF distingue deux périodes critiques pendant lesquelles les valeurs ne faisaient l’objet d’aucun blocage ex lege, à savoir une première période entre l’ordre de transfert et l’entrée en vigueur de l’aO-Syrie, d’une part, et une deuxième période entre l’autorisation du SECO et le séquestre du MPC, d’autre part.

S’agissant de la première période, le TF retient que l’inexécution immédiate de l’instruction et le blocage préventif interne sont inhérents au jeu des art. 6, 9 et 10 aLBA, de sorte que ces mesures ne sont pas sans fondement. De surcroît, le client ne remettait pas en cause la bonne foi de la banque (art. 11 aLBA cum art. 3 CC). Enfin, les conditions générales applicables excluaient toute responsabilité en cas de retard pour cause d’investigations en lien avec la prévention du blanchiment d’argent. Quant à la deuxième période, rien ne permettait de retenir une mauvaise foi de la part de la banque alors même que le SECO avait autorisé le transfert et que la banque avait pris l’initiative d’interpeller indirectement le MPC au travers d’une correspondance adressée au SECO. De bonne foi, la banque ne pouvait ainsi être civilement responsable.

Commentaire

Bien qu’il se rapporte à la LBA dans sa teneur au 01.01.2010, l’arrêt du TF est pertinent à plusieurs égards.

1. Tout d’abord, il reconnaît que l’inexécution d’une transaction et le blocage préventif interne sont inhérents au processus de clarification LBA, quand bien même ces mesures ne sont pas expressément dictées par la loi et procèdent a priori d’une violation de l’obligation de diligence du mandataire (art. 398, al. 2, CO).

Si ces mesures ont été jugées admissibles selon l’ancien droit, cette appréciation ne devrait selon nous pas être différente à la lumière des dispositions introduites par la révision GAFI 2012, en particulier le mécanisme de blocage différé (art. 10, al. 1, LBA) et l’obligation d’exécution des transactions après communication (art. 9a LBA ; art. 33 OBA-FINMA).

On relèvera toutefois une certaine antinomie entre le régime applicable pendant le processus de clarification et celui qui prévaut actuellement après communication puisque, dans le premier cas, la banque peut bloquer préventivement les valeurs de son client alors que, dans le second, une telle mesure n’est plus admissible (cf. cp. art. 10, al. 1bis, LBA), sous peine d’alerter le client (tipping off).

2. Il étend ensuite implicitement l’exclusion légale de responsabilité en lien avec l’inexécution de transactions requises pendant le processus de clarification, voire à des moments où la banque reste dans l’attente d’une détermination d’une autorité ou de nouvelles mesures prises par celle-ci. Il s’agit d’une interprétation relativement large de l’art. 11 aLBA qui, selon son texte, n’a vocation à s’appliquer qu’en lien avec des communications effectuées au MROS et aux blocages consécutifs à celles-ci.

3. Il rappelle que la bonne foi visée par l’art. 11 aLBA s’apprécie selon l’art. 3 CC et que celle-ci doit être présumée. Il précise par ailleurs que le simple fait d’alléguer que le processus de clarification est un prétexte de la banque pour se couvrir (vis-à-vis par exemple d’autorités étrangères) est insuffisant pour renverser cette présomption.

4. Il reconnaît implicitement la faculté d’exclure conventionnellement toute responsabilité pour le dommage causé en lien avec la non-instruction d’une transaction requise avant ou pendant le processus de clarification, quand bien même le comportement de la banque est susceptible d’être revu par le juge en cas de litige (art. 100, al. 2, CO).

5. Il exclut par ailleurs toute responsabilité délictuelle de la banque dans ce contexte, les dispositions de la LBA ne constituant pas des Schutznormen (ATF 134 III 529).

Enfin, si le TF n’a pas eu besoin d’examiner l’existence d’un lien de causalité entre la violation alléguée et le dommage subi, il y a lieu de rappeler qu’un tel lien demeure nécessaire pour fonder une quelconque responsabilité.

Concernant le volet administratif de cette affaire : cf. TF, 2C_722/2012, 27.05.2013