finance décentralisée (DeFi) Decentralized Finance
La Decentralized Finance, ou DeFi, est un terme désignant l’accès public à une variété d’instruments et/ou de services financiers et la possibilité de les échanger en dehors du système bancaire, de pair-à-pair ou de “pair-à-smart contracts” sur des protocoles de type blockchain (majoritairement sur des blockchains de type Ethereum). Les transactions sont effectuées en cryptomonnaies et/ou en stablecoins centralisés (comme l’USDC ou le Tether) ou à mécanismes de stabilisation algorithmiques (comme le DAI ou le Frax), via des smarts contracts. La DeFi vise ainsi à résoudre les problèmes suivants, tels qu’actuellement constatés dans le système financier international :
- le transfert des instruments financiers est lent (plusieurs jours pour l’exécution, le clearing et le settlement) ;
- une intervention humaine peut s’avérer nécessaire pour les vérifications, l’exécution et la validation d’une seule opération sur les marchés financiers ;
- les processus décisionnels de fixation d’indicateurs clés (taux directeurs, masse monétaire) sont le fruit de décisions centrales publiques, lesquelles affectent ensuite la fixation des prix des instruments et services financiers par les banques commerciales du fait de la prise en compte de leurs frais de fonctionnement, de leurs coûts lié au risque et de leur marges bénéficiaires (décisions centrales privées) ;
- l’accès à certains (importants) instruments financiers et la liquidité de ceux-ci sont deux caractéristiques influencées par le système financier traditionnel du fait de sa centralisation entre divers acteurs, publics et privés, eux-mêmes en relations commerciales les uns avec les autres. En d’autres termes, le particulier, acheteur ou vendeur final, peut se voir limiter l’accès à un instrument financier particulier – ou faire l’objet d’une rétention de liquidité sur cet actif – par ces acteurs centralisés ;
- l’accès à certains instruments financiers n’est pas possible à tout un chacun du fait de leur valeur unitaire élevée (la finance décentralisée cherchant par exemple ici à fragmenter / morceler ces instruments – via la tokenisation – en unités plus petites que l’instrument financier de départ) ;
- de nombreux êtres humains sont unbanked, soit sans accès à un compte bancaire, ce non nécessairement en raison d’un comportement criminel préalable mais parfois simplement en raison du fait que ces êtres humains sont par exemple sans domicile fixe, apatrides, n’ont pas de documents d’identités (par exemple impossibilité de prouver une date / un lieu de naissance ou une parentèle), voire sont des mineurs sous travail forcé ;
- l’accès au financement privé est globalement difficile en raison du fait que l’analyse des risques qui lui est liée est exclusivement le fait d’acteurs centralisés (cf. point 3) ;
- les marchés centralisés ont des heures d’ouverture et de fermeture (la DeFi permet ainsi que les marchés soient disponibles 24/7/365).
La DeFi offre de résoudre tout ou partie de ces problèmes et propose ainsi la programmabi-lité de l’argent. Dans la mesure où elle est encore en pleine évolution, elle offre tout d’abord d’améliorer les restrictions de liquidités dans les échanges de pair-à-pair (OTC, pour over the counter) ou entre un individu et un smart contract (soit de pair-à-smart contract). A cet effet, la DeFi propose à ce jour :
- des échanges décentralisés (DEx, pour decentralized exchanges) ;
- des distributeurs automatiques (AMM, pour Automatic Market Makers) ;
- des protocoles de prêt, de type lending & borrowing et flash loans.
A ce jour, la liquidité des marchés financiers n’est souvent pas garantie lors des échanges de pair-à-pair, ce parce qu’une offre quelconque peut ne pas trouver acheteur du fait que le prix offert ne correspond pas, dans les volumes demandés, à ce que l’acheteur est prêt à payer. Or, dans la DeFi, les trois mécanismes précités permettent de grandement faciliter lesdits échanges, soit :
- en permettant aux vendeurs et aux acheteurs d’entrer dans une même relation sans intermédiaire, en particulier sans les banques et les structures traditionnelles d’échanges de cryptomonnaies (cf. Binance, Bitstamp, Coinbase, Kraken, etc.), en réunissant ces derniers autour d’une plateforme de regroupement de liquidité des cryptoactifs (liquidity pool–based decentralized exchange), ou autour d’une plateforme de carnet d’ordres des cryptoactifs (order book-based decentralized exchange) ;
- en mettant à disposition d’un acheteur ou d’un vendeur un prix (a) et un volume (b) pour une paire de cryptoactifs, par exemple ETH contre DAI ;
- le prix de la paire est défini automatiquement en fonction de la réserve disponible de ladite paire ;
- le volume provient quant à lui d’une réserve de liquidité mise à disposition par d’autres participants qui acceptent de verrouiller tout ou partie de leurs cryptoactifs en échange d’une rémunération soit dans un stablecoin (p. ex. en DAI ou en USD Coin selon la plateforme considérée), soit dans le token natif du protocole (cf. ci-dessous la note des auteurs), soit encore une cryptomonnaie native (BTC, ETH, LTC, XRP, etc.) ;
la rémunération promise du fait de ce verrouillage provient des frais de transactions payés par les participants allant se servir dans cette réserve de liquidités ; par ailleurs, en échange du verrouillage de leurs cryptoactifs, les participants reçoivent des tokens représentant le pourcentage de leurs parts dans cette réserve de liquidités (aussi appelé “token de gouvernance”). Ainsi, ces tokens permettent de participer à la gouvernance de cette réserve de liquidité en votant, par exemple, sur une mise à jour des frais de transactions ;
un tel mécanisme est dès lors appelé « Automatic Market Making » (AMM) et est couramment pratiqué par des protocoles comme Uniswap, Sushiswap, MakerDAO ou encore Bancor ; il convient toutefois de comprendre et bien garder à l’esprit la notion de perte non permanente (impermanent loss) avant d’utiliser des AMM avec paire de cryptoactifs.
- en permettant de prêter et d’emprunter (lending & borrowing) un montant en cryptomonnaie / tokens avec un mécanisme de marge. L’emprunteur doit ici s’assurer en permanence vis-à-vis du prêteur que sa marge couvre les frais de son emprunt, ainsi que les variations éventuelles de taux de change, sous peine de voir celle-ci conservée ou consommée en partie par le prêteur, soit
- en permettant de prêter et d’emprunter un montant en cryptomonnaie / tokens, sans mécanisme de marge et uniquement pour une transaction donnée. Ici, la bonne exécution de la transaction nécessite que le montant soit retourné à son prêteur avant la fin de celle-ci. Ce type de prêt / emprunt, appelé flash loan (« prêt éclair », principalement proposés par les protocoles Aave et dYdX), permet d’offrir un effet de levier très important du fait de la programmabilité de la blockchain utilisée (à l’instar d’Ethereum), en recherchant par exemple un arbitrage au milieu des autres transactions étant exécutées quasi simultanément sur cette même blockchain. Pour profiter d’un tel mécanisme, toutefois, l’emprunteur utilise un ou des smart contracts complexes devant nécessairement détailler la chronologie de l’ensemble des opérations à réaliser dans le cadre de la transaction.
Pour le prêteur, le risque est cependant nul, dans un flash loan. Le prêteur a en effet toujours la garantie que ses cryptomonnaies / tokens lui seront rendus si le smart contract est exécuté avec succès (cf. atomicité de l’échange, voir atomic swap). Dans le cas contraire, à savoir si la transaction échoue, le prêt / emprunt n’a dès lors – et en réalité – jamais eu lieu.
Note des auteurs : d’une façon générale, les outils de DeFi proposent aux participants de ces marchés de laisser leurs actifs être contrôlés par des smart contracts, lesquels effectuent ainsi une gestion automatique du fait de l’existence d’ordres prédéterminés à l’avance (algorithmes).
Les opérateurs de DeFi les plus connus agissent principalement tous sur Ethereum ou sur des layers 2 ou sidechains d’Ethereum. Parmi les DEx, on peut penser au plus ancien EtherDelta (lequel a rapidement souffert de problèmes régulatoires aux Etats-Unis avec la Securities & Exchange Commission) comme au plus récent, Oasis, développé par MakerDAO et son jeton, de type stablecoin décentralisé, le DAI.
Parmi les protocoles de lending & borrowing et outre MakerDAO, les principaux acteurs sont à ce jour Aave, Compound, DeFi Swap et Aqru.
S’agissant des AMM, on notera principalement Bancor, Uniswap, Aave, Balancer, Curve, Kyber Network, soit des protocoles permettant d’offrir de la liquidité de gré à gré pour un ou plusieurs cryptoactifs déposé(s) par d’autres participants (liquidity pool) contre une rémunération (avec le risque de l’impermanent loss, voir l’entrée « perte non permanente ») soit, pour rappel, 1) dans un stablecoin, et/ou 2) dans le token natif du protocole (“token de gouvernance”, ici respectivement BNT pour Bancor, UNI pour Uniswap, Aave pour Aave, BAL pour Balancer, CRV pour Curve et KNC pour Kyber Network), et/ou encore 3) dans une cryptomonnaie native (BTC, ETH, BCH, LTC, XRP, etc.).
Enfin, cette note ne saurait s’achever sans faire état des problèmes que la DeFi provoque sous l’angle de la surveillance des marchés financiers. Dans un idéal certain de désintermédiation – et souvent de libertarianisme – les porteurs de projets DeFi tendent à penser que le fait que leurs protocoles et smart contacts soient décentralisés les protègent de toute responsabilité étatique (pénale, fiscale et plus généralement administrative) ou de droit privé (contractuelle). En réalité, les concepteurs d’outils de DeFi ne sont en général pas des anonymes et le plus souvent connus d’un public averti, fait qui contribue d’ailleurs à la confiance de celui-ci dans les outils proposés ; en outre, certaines personnes morales ou associations figurent souvent en tête de tel ou tel projet ; enfin, l’existence d’un site internet ne peut empêcher toute forme de traçabilité. Ces divers éléments, parmi d’autres, peuvent renseigner le caractère réellement décentralisé ou non d’un outil de DeFi et, dès lors, induire ou non l’application d’un droit conçu à l’origine – il est vrai – pour la vente de produits et services dans un monde centralisé.
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