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Programme américain et communication de données

Défaut de qualité pour recourir contre l’autorisation du DFF au sens de l’art. 271 CP

Le client d’une banque ne dispose pas de la qualité pour recourir contre la décision du Département fédéral des finances (DFF) d’autoriser selon l’art. 271 CP une banque à coopérer avec le Department of Justice dans le cadre du US Program. C’est la conclusion à laquelle le Tribunal fédéral est parvenu dans l’arrêt 2C_1156/2016 du 29 juin 2018 résumé et commenté ci-dessous.

Le cas concerne une fondation dont tant le fondateur que les bénéficiaires disposent d’un passeport américain. Dans le cadre du US Program, la banque reçoit le 28 mars 2014 une autorisation au sens de l’art. 271 CP du DFF afin de régler sa situation juridique avec les États-Unis. Le 24 juillet 2014, la banque informe le membre du conseil de fondation, qui dispose d’un pouvoir de signature sur le compte bancaire de la fondation, de son intention de transmettre son nom aux autorités américaines. Cette personne s’y oppose et obtient des mesures superprovisionnelles, puis provisionnelles ordonnées par le Tribunal du district de Lucerne.

Par décision du 27 mars 2015, le DFF prolonge son autorisation en faveur de la banque, laquelle la transmet au membre du conseil de fondation. Ce dernier dépose un recours contre cette autorisation auprès du Tribunal administratif fédéral.

Le Tribunal administratif fédéral déclare le recours irrecevable en raison du défaut de qualité pour recourir du membre du conseil de fondation (A-1683/2016). Saisi d’un recours, le Tribunal fédéral se penche pour la première fois sur la question de la qualité pour recourir d’une personne contre l’autorisation du DFF au sens de l’art. 271 CP.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que, afin de disposer d’un intérêt digne de protection, l’administré doit être touché avec une intensité plus grande que la généralité des administrés. Cette question s’analyse selon les circonstances concrètes du cas d’espèce et dépend également du domaine du droit applicable.

Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral résume sa jurisprudence pertinente en la matière, notamment l’ATF 139 II 404 dans lequel il a reconnu la qualité pour recourir en matière d’entraide administrative internationale au titulaire du compte bancaire, et, à certaines conditions, à l’ayant droit économique. Plus récemment, dans l’ATF 143 II 506 (commenté sur CDBF.ch/982), le Tribunal fédéral a précisé que l’ex-employé de banque dispose d’un intérêt digne de protection à ce que l’AFC ne transmette pas ses coordonnées au fisc américain.

Le Tribunal fédéral se penche ensuite sur les circonstances concrètes du cas d’espèce. Il souligne principalement que l’autorisation du DFF concerne également de nombreux cas autres que celui du recourant. La présente situation diffère ainsi des deux ATF mentionnés ci-dessus dans lesquels les recourants contestaient uniquement la transmission de leurs informations, et non une décision générale. Dès lors, même s’il est admis que le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à s’opposer à la transmission de ses données personnelles, il n’en va pas forcément de même pour recourir contre l’autorisation générale du DFF.

Le Tribunal fédéral souligne enfin deux points déterminants. Premièrement, le recourant dispose d’autres moyens de droit pour s’opposer à la transmission de ses informations. Ses droits ne seraient pas moins bien protégés dans la procédure civile déjà intentée que dans une procédure administrative. Deuxièmement, le cercle des personnes avec la qualité de partie ne devrait pas être élargi au point de rendre les activités administratives excessivement difficiles ; le droit de recours en question ou l’exercice des droits de partie à la procédure ne doit pas entraver la célérité de la procédure. Le Tribunal fédéral en conclut que reconnaître au recourant la qualité pour recourir contre l’autorisation compliquerait inutilement et excessivement la participation de la banque au US Program. Partant, le recourant ne dispose pas de la qualité pour recourir et le Tribunal fédéral rejette le recours.

D’un point de vue pratique, la solution du Tribunal fédéral nous semble convaincante. Une procédure d’opposition contre l’autorisation du DFF aurait eu pour effet de compliquer de manière excessive la participation de la banque au US Program alors que le recourant disposait d’autres moyens de droits pour s’opposer à la communication de ses données aux autorités américaines. Pour qu’un recours soit déclaré irrecevable, c’est cumulativement que doivent être remplies les deux conditions, à savoir la possibilité de se défendre par d’autres moyens de droit et le fait de rendre les activités administratives excessivement difficiles par un recours. L’existence de l’une seule de ces deux conditions n’est pas suffisante pour déclarer le recours irrecevable.

L’AFC a précisément invoqué le fait que l’activité de l’administration serait rendue excessivement difficile pour justifier sa pratique récemment publiée selon laquelle elle n’informe plus systématiquement les collaborateurs de banque de la transmission de leur nom et de leur fonction aux autorités américaines (« Eine weitergehende Informationspflicht würde dazu führen, dass ein wirksamer Informationsaustausch dadurch verhindert beziehungsweise übermässig verzögert würde », US-Steuerstreit : Schweiz liefert die Namen Tausender Banker, article du TagesAnzeiger du 5 août 2018). Or, il ne semble pas que les collaborateurs disposaient en l’espèce d’autres moyens de droit pour s’opposer à cette transmission d’informations, vu qu’ils n’en avaient pas été informés. Affaire à suivre.