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Transmission de données clients aux USA

Guilty or not guilty ?

Dans le contexte du conflit fiscal entre la Suisse et les États-Unis, et du transfert massif de données outre-Atlantique qui s’en est suivi, le Tribunal pénal fédéral a acquitté A., président du Conseil d’administration de la société de gestion de fortune B. AG, d’actes exécutés sans droit pour un État étranger (art. 271 CP), faute d’intention de commettre une infraction (arrêt du Tribunal pénal fédéral SK.2017.64 du 9 mai 2018).

En été 2012, B. AG procède à des vérifications internes qui lui apprennent qu’un certain nombre de ses clients aurait fraudé le fisc états-unien. A. mandate alors l’Étude d’avocats zurichoise C. pour constituer un dossier sur clé USB rassemblant les données concernant ces clients. Il effectue à l’automne une auto-dénonciation au Département fédéral de la justice des États-Unis (DoJ), sans livrer d’informations concrètes à ce stade.

En mai 2013, l’Etude C. délivre à A. une legal opinion, libellée comme suit : « [f]or the above outlined reasons, we are of the opinion that a disclosure within the terms of the Scenario is rather unlikely to infringe art. 271 SPC (Swiss Penal Code). Disclosing the Client Data probably does not expose those acting on behalf of B. AG to the risk of being held criminally culpable (…) for having violated art. 271 SPC. However, as regards the applicability of art. 271 SPC, this is a grey area and arguments for the applicability of art. 271 SPC to the Scenario cannot be excluded so that a residual risk of violating art. 271 remains ». A. mandate alors le Professeur d’université H. pour une expertise sur la question. Cet avis de droit confirme, à tout le moins dans son résultat, la legal opinion : s’il ne peut être exclu que la transmission des données « clients » détenues par B. AG. aux autorités états-uniennes sans autorisation du Conseil fédéral tombe sous le coup de l’art. 271 CP, un tel acte serait en tout cas couvert par le motif justificatif de l’état de nécessité licite (art. 17 CP) ou celui, extra-légal, de la sauvegarde d’intérêts légitimes, respectivement par le motif exculpatoire de l’état de nécessité excusable (art. 18 al. 2 CP).

En novembre 2013, A. se rend personnellement aux États-Unis et remet, par l’entremise de l’antenne new-yorkaise de l’Etude C., la clé USB contenant plus d’une centaine de dossiers au DoJ, en vue de la conclusion d’un « Non Prosecution Agreement ».

Par ordonnance pénale du 19 septembre 2017, le Ministère public de la Confédération reconnaît A. coupable de l’infraction à l’art. 271 CP.

Statuant sur opposition à la décision précitée, le Tribunal pénal fédéral admet tout d’abord, contre une partie de la doctrine, la réalisation des éléments constitutifs objectifs de l’art. 271 CP. Les données litigieuses concernaient des clients, soit des tiers, étaient localisables en Suisse et protégées par l’ordre public national, en particulier le secret bancaire. Le transport, depuis la Suisse, des documents en vue de leur transmission au DoJ constitue un début d’exécution de l’infraction, de sorte que l’acte doit être considéré commis sur sol suisse. Le fait que les données ont été – plus ou moins – librement remises par A. aux États-Unis est sans pertinence, dès lors que la disposition pénale protège la souveraineté suisse et non les intérêts privés de l’accusé. Leur remise aux autorités états-uniennes aurait dû s’effectuer par la voie de l’entraide, leur transmission directe par un privé constituant donc bien un acte de puissance publique au sens de l’art. 271 CP. Le raisonnement du Tribunal pénal fédéral emporte sur ce point notre conviction, l’art. 271 CP ayant précisément pour objectif d’éviter le contournement des règles en matière de coopération internationale.

Sous l’angle subjectif, le Tribunal pénal fédéral relève que l’auteur doit à tout le moins avoir envisagé la possibilité d’effectuer un acte de puissance publique au profit d’un État étranger. Il précise ensuite que l’art. 271 CP présente la particularité d’inclure dans l’intention la conscience du caractère interdit du comportement adopté. Selon le Tribunal pénal fédéral, la problématique doit ainsi se résoudre en lien avec la réalisation de l’élément subjectif et non sous l’angle de l’erreur sur l’illicéité au sens de l’art. 21 CP. En conséquence, la question du caractère évitable de l’erreur selon cette dernière disposition n’a pas à être examinée. En l’espèce, le Tribunal pénal fédéral pose un regard sévère sur l’impartialité de la legal opinion et la qualité de l’expertise professorale, mais arrive néanmoins à la conclusion qu’au vu de ces deux avis A. n’a pas envisagé agir de manière contraire au droit.

Sur le plan du résultat, le jugement du Tribunal pénal fédéral nous semble convaincant. Dogmatiquement parlant, nous estimons en revanche que c’est bien sur la base de l’art. 21 CP que l’accusé aurait dû être acquitté. En effet, l’avis de droit du Prof. H n’exclut pas le caractère interdit de la livraison par A. de données bancaires aux autorités états-uniennes, mais admet en tous les cas l’existence de motifs justificatifs, respectivement exculpatoire. Sur cette base, l’intention de A. d’effectuer un acte de puissance publique pour un État étranger ne peut donc être écartée. En revanche, l’avis de droit a pu faire naître chez A. la conviction erronée de la licéité du comportement qu’il projetait d’adopter, ce qui constitue une erreur sur l’illicéité au sens de l’art. 21 CP.

Un recours au Tribunal fédéral a été déposé par le Ministère public de la Confédération contre le jugement du Tribunal pénal fédéral.