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Programme américain et Raoul Weil

Accès aux documents refusé pour un journaliste

L’intérêt du Département fédéral des finances (DFF) à maintenir une relation intacte avec les États-Unis en tant qu’important partenaire de négociation doit se voir accorder plus de poids que l’intérêt privé d’un journaliste à avoir accès à des documents concernant Raoul Weil ainsi qu’à l’intérêt du public dans la transparence. C’est la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal administratif fédéral dans l’arrêt A-6475/2017 du 6 août 2018, résumé et commenté ci-dessous.

Hansjürg Zumstein, journaliste à la SRF, dépose le 10 octobre 2016 une demande d’accès auprès de l’AFC et du Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI) afin de pouvoir consulter tous les documents concernant la plainte et la procédure pénale à l’encontre de Raoul Weil. Le journaliste explique vouloir produire un documentaire sur Raoul Weil et se fonde sur le Rapport des Commissions de gestion des Chambres fédérales du 30 mai 2010 concernant « Les autorités sous la pression de la crise financière et de la transmission de données clients d’UBS aux États-Unis ». Les deux autorités administratives transmettent la demande au Secrétariat général du DFF.

Le Secrétariat général du DFF rejette la requête du journaliste en raison des procédures encore pendantes entre des banques suisses et les États-Unis. En effet, tant les procédures concernant les banques dans la catégorie 1 que celles dans les catégories 3 et 4 du US Program ne sont pas terminées. Il est ainsi important, dans la perspective de ces procédures à venir, que les employés concernés puissent exprimer leurs opinions librement et sans être gênés par la pression du public.

Le journaliste saisit le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence d’une demande de médiation, conformément à l’art. 13 LTrans. Le Préposé considère qu’il existe un lien entre les documents visés dans la demande et le US Program encore pendant. L’atteinte aux intérêts en matière de politique étrangère ou aux relations internationales en cas de divulgation serait d’une certaine importance ; de plus, il y aurait un risque sérieux qu’elle se produise. Partant, le Préposé recommande au Secrétariat général du DFF de différer l’accès aux documents requis jusqu’à que le US Program soit terminé. Le Secrétariat suit cette recommandation et diffère l’accès aux documents requis jusqu’à la conclusion du US Program. Le journaliste saisit alors le Tribunal administratif fédéral.

L’art. 6 al. 1 LTrans dispose que toute personne a le droit de consulter des documents officiels et d’obtenir des renseignements sur leur contenu de la part des autorités. Il existe ainsi une présomption légale réfragable en faveur de l’accès aux documents officiels. L’art. 7 al. 1 let. d LTrans prévoit toutefois que le droit d’accès est limité, différé ou refusé, lorsque l’accès à un document officiel risque de compromettre les intérêts de la Suisse en matière de politique extérieure et ses relations internationales.

La relation entre le principe de transparence et les règles de confidentialité prévues à l’art. 7 LTrans doit être analysée au cas par cas en fonction du but, en effectuant une pondération des intérêts en présence et en application du principe de proportionnalité. L’efficacité des clauses d’exception prévues à l’art. 7 LTrans dépend, d’une part, du fait que l’atteinte doit avoir une certaine importance en cas de divulgation et, d’autre part, du fait qu’il existe un risque sérieux qu’elle se produise selon le cours ordinaire des choses et avec une probabilité élevée (ATF 142 II 313, résumé in LawInside.ch/264).

En l’espèce, le Tribunal administratif fédéral considère qu’il n’existe aucune raison de douter de l’appréciation retenue par le Secrétariat général du DFF, comme l’a d’ailleurs retenu le Préposé. En particulier, en cas de divulgation des documents requis, il est crédible et compréhensible qu’il existe un risque sérieux que l’atteinte à la politique étrangère de la Suisse et aux relations internationales avec les États-Unis soit d’une certaine importance. Une mesure plus légère et tout aussi appropriée que le refus temporaire d’accès aux documents n’est pas envisageable. En particulier, les intérêts du Département fédéral des finances à maintenir une relation intacte avec les États-Unis en tant qu’important partenaire de négociation doivent se voir accorder, à l’heure actuelle, une priorité plus élevée que l’intérêt privé du journaliste à l’accès aux documents et l’intérêt du public à la transparence. Le Tribunal administratif fédéral confirme ainsi que l’accès aux documents requis doit être différé jusqu’à la fin du US Program.

Le rejet du recours n’est pas surprenant. En effet, la marge d’appréciation octroyée à l’autorité est importante en matière de transparence. De plus, le Préposé avait rendu une recommandation négative, après avoir normalement pu prendre connaissance des documents requis par le journaliste avant de rendre sa recommandation en défaveur du journaliste (en application de l’art. 12b al. 1 let. b OTrans).

De plus, si le Tribunal administratif fédéral avait admis l’accès aux documents dans son principe, la question du caviardage de certaines parties de documents – en application du principe de la proportionnalité –, ainsi que la question de la protection des données personnelles auraient également dû être examinées. Concernant cette seconde question, l’art. 7 al. 2 LTrans prévoit en effet que le droit d’accès est limité, différé ou refusé si l’accès à un document officiel peut porter atteinte à la sphère privée de tiers, à moins qu’un intérêt public à la transparence ne soit exceptionnellement jugé prépondérant (cf. à ce sujet : Flückiger Alexandre/Minetto Mike, La communication de documents officiels contenant des données personnelles : la pesée des intérêts dans la pratique des autorités fédérales, RDAF 2017, p. 558 ss).