Aller au contenu principal

Appel de marge

Une chute du rouble litigieuse

Un client fortuné et une banque sont en relation d’affaires depuis plus de 30 ans. Dans le cadre d’une relation contractuelle execution-only, le client ordonne des transactions à terme (Forward) sur devises (RUB/JPY et RUB/CHF). Le 16 décembre 2014, en raison d’une forte baisse du cours du rouble russe, la banque clôture prématurément les transactions à terme après avoir contacté son client, entraînant des pertes pour ce dernier. Le client engage une procédure judiciaire afin de réclamer une compensation équivalente à la perte moins importante qu’il aurait subie si les positions avaient été maintenues jusqu’à leurs échéances. Néanmoins, sa demande est rejetée par les tribunaux (TF 4A_455/2022).

Les faits de cette affaire sont particulièrement confus et les preuves de leur existence se cantonnent à l’audition du client et des employés de la banque ainsi qu’aux notes de contacts client, lesquelles sont parfois imprécises. La lecture de l’arrêt de l’Obergericht zurichois (LB210029-O/U) reflète la gabegie régnant lors de cette journée de chute du rouble après que la banque centrale russe a dressé un tableau noir de l’économie du pays pour 2015. Le grief tiré de l’appréciation arbitraire des faits est rejeté pour faute de motivation suffisante. Le Tribunal fédéral se fonde ainsi exclusivement sur les faits tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué. Les considérations du Tribunal cantonal concernant la violation contractuelle étant essentiellement basées sur l’appréciation des faits, l’arrêt de notre Haute Cour nous laisse quelque peu sur notre faim.

Le client argue d’une violation du contrat au motif que l’appel de marge n’octroierait pas un délai suffisant pour rétablir la marge de sécurité et ne chifferait pas le montant nécessaire pour ce faire. En l’absence d’un appel de marge conforme au contrat, la clôture des transactions à terme constituerait une violation contractuelle.

Le Tribunal fédéral relève tout d’abord que l’instance inférieure n’a pas considéré que l’appel de marge était superflu, mais a au contraire expressément reconnu qu’un appel de marge conforme au contrat applicable était une condition préalable à la liquidation opérée par la suite. À notre avis, nos juges confirment ainsi que l’appel de marge doit donner l’opportunité au client de rétablir la marge de sécurité pour maintenir ses positions avant d’être en droit de les liquider s’il échoue à reconstituer la marge.

La question fondamentale est celle de savoir ce qu’est un appel de marge. Notre Haute cour poursuit alors ses considérations en relevant que l’instance précédente a constaté, sur la base de son appréciation des preuves (auditions de témoins et de parties ; notes internes), que des entretiens téléphoniques ont eu lieu, au cours desquels un appel de marge a été communiqué au client conformément au contrat. Celui-ci a notamment été informé du montant de la couverture complémentaire nécessaire, et un délai « immédiat » et tout à fait suffisant lui a été fixé pour constituer la couverture complémentaire. Même si le recourant n’a pas été informé d’un montant précis « en francs et en centimes », cela n’a pas été préjudiciable selon l’Obergericht, car le client a déclaré ne pas être en mesure d’apporter la couverture complémentaire dans le délai imparti. Le client conteste cette appréciation des faits mais échoue, selon le Tribunal fédéral, à en démontrer l’arbitraire. Dans le même sens, sa motivation en droit n’est pas suffisante pour démontrer une violation du droit fédéral, le client se contentant de critiques trop superficielles telle celle prétendant que l’Obergericht aurait « renversé la structure contractuelle de manière inadmissible« . Le recours est ainsi rejeté.

Le Tribunal fédéral relève que l’action aurait de toute manière été rejetée car le client réclamait des dommages et intérêts en francs suisses au lieu de roubles, la monnaie dans laquelle la prétendue dette de la banque aurait été payée (art. 84 CO). En effet, les transactions à terme concernées prévoyaient que la banque crédite le compte du client de roubles et le débite de francs suisses à une date valeur fixée. Si le contrat avait été exécuté, le client aurait ainsi perçu des roubles et non des francs suisses. Il devait donc libeller ses conclusions en roubles. La monnaie dans laquelle le client pense ou celle dans laquelle les relevés de portefeuille sont édités sont sans importance.

Il aurait été heureux que le client ait mieux présenté son cas et que le Tribunal fédéral ait considéré dans quelle mesure un appel de marge est d’un point de vue juridique une mise en demeure au sens du Code des obligations (art. 102 à 109 CO). En règle générale, lorsque l’obligation est une dette pécuniaire dont le débiteur ne connaît pas le montant exact, le créancier doit indiquer le montant réclamé. Par conséquent, un appel de marge devrait indiquer le montant exact à apporter et la date/heure précise à laquelle le client doit satisfaire à l’appel de marge, faute de quoi l’appel de marge ne devrait pas être jugé valable (dans ce sens ACJC/1406/2013 du 22 novembre 2013, c. 5.1). Or, dans le cas d’espèce, le client ne connaissait pas le montant exact à apporter, ce qui aurait dû être considéré comme une violation contractuelle. Cependant, le client a sans doute rompu le lien de causalité entre cette violation et le dommage en refusant de signer un nantissement en faveur de la banque et en étant dans l’incapacité de répondre à l’appel de marge en apportant de nouveaux fonds.

Cette affaire démontre une fois de plus l’importance pour les banques de mettre en place un processus robuste en cas de détérioration de marge distinguant les différentes étapes et prévoyant des communications les plus claires possibles envers leurs clients tant sur le montant à apporter que le délai pour ce faire. Pour les clients, cet arrêt rappelle qu’en cas de contestation, ils devront être très prudents pour ne pas perdre leurs éventuels droits en ratifiant les transactions ou en interrompant le lien de causalité par leur comportement.