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Gestion de fortune

Approbation des investissements contraires à la stratégie de placement

Le gestionnaire de fortune qui ne respecte pas la stratégie de placement conservatrice convenue avec son client ne viole pas ses obligations contractuelles si le client a valablement approuvé les investissements (arrêt du Tribunal fédéral 4A_507/2023 du 29 février 2024).

Dans cet arrêt, le client consulte un gestionnaire de fortune pour gérer une partie de ses avoirs. Au fur et à mesure des années, le client contracte trois relations de gestion différentes avec le prestataire. Pour la troisième relation, qui a donné lieu au litige, le contrat de gestion stipule que l’objectif du placement est la préservation du capital à moyen terme et l’investissement principalement dans des fonds négociables et des produits de couvertures. Selon le Tribunal de première instance zurichois, cette stratégie doit être qualifiée de conservatrice.

La relation se déroule bien pendant plusieurs années, jusqu’à ce que le client subisse des pertes importantes entre 2007 et 2010. Il résilie alors le mandat de gestion puis intente une action en dommages-intérêts contre le gestionnaire de fortune à hauteur de CHF 718’018.-. Selon le client, le gestionnaire n’a pas respecté la stratégie de placement convenue, violant ainsi son devoir de diligence (art. 398 al. 2 CO).

Dans les faits, il appert que les investissements effectués par le gestionnaire n’étaient effectivement pas conformes à une stratégie de placement conservatrice. En effet, le portefeuille était composé d’une part croissante d’actions et de produits structurés, ce qui – selon le Tribunal de première instance zurichois – se rattache plutôt à une stratégie équilibrée.

Le gestionnaire ne réussit pas à démontrer en première instance que la stratégie de placement initiale conservatrice initialement convenue a été modifiée. Les tribunaux doivent donc déterminer si le client a valablement consenti aux investissements non conformes à la stratégie de placement, le fardeau de la preuve incombant au gestionnaire.

Selon l’Obergericht zurichois, le client était expérimenté et disposait de connaissances en matière d’investissement. Il a été régulièrement informé des risques liés aux placements non conformes, par le biais des rapports de gestion et des multiples entretiens personnels avec des représentants du gestionnaire. Lors d’entretiens semestriels, le client discutait – pendant parfois plusieurs heures – des investissements effectués dans son portefeuille ainsi que d’éventuelles autres opportunités d’investissement. Il fournissait en outre régulièrement des suggestions de placement au gestionnaire.

En raison de ces éléments, le client avait, d’une part, connaissance des investissements non conformes à la stratégie d’investissement et, d’autre part, conscience des risques qui en découlaient. Selon l’Obergericht, les investissements non conformes ont donc été valablement approuvés – de manière éclairée (« informierte Genehmigung ») – par le client. Ce raisonnement convainc le Tribunal fédéral qui confirme la décision de l’instance cantonale et écarte les prétentions du client.

Deux éléments ont été déterminants dans cette affaire pour écarter la responsabilité du prestataire : (i) les connaissances et l’expérience du client en matière financière et (ii) l’information répétée du gestionnaire au client sur le contenu du portefeuille. Les conclusions de cet arrêt auraient ainsi probablement été différentes si le client n’avait pas eu les connaissances et l’expérience nécessaires pour comprendre les opérations financières effectuées par le gestionnaire ou s’il n’avait pas été régulièrement informé du contenu du portefeuille.

Le Tribunal fédéral le précise, le cas d’espèce doit être distingué de la situation où un client inexpérimenté ratifie – par le mécanisme d’une clause de fiction de ratification contenue dans les conditions générales – les placements effectués par le prestataire. En effet, dans cet arrêt, non seulement le client était expérimenté, mais surtout les relevés de gestion étaient discutés de manière approfondie entre le client et des représentants du gestionnaire.

Pour éviter de devoir étudier la question d’une approbation a posteriori des transactions non conformes, il est recommandé au prestataire d’agir en amont du problème, en modifiant – avec l’accord du client – la stratégie de placement initialement convenue, le cas échéant en adaptant le profil de risque. Dans ces situations, le prestataire doit encore néanmoins garder à l’esprit qu’il ne peut pas s’écarter indifféremment du profil de risque du client (ou le modifier sans limite). En effet, lorsque la stratégie de placement souhaitée par le client s’écarte de son profil de risque, le prestataire a au minimum un devoir de mise en garde, qui découle de son devoir de diligence selon l’art. 398 al. 2 CO (sous l’angle réglementaire, l’art. 14 al. 2 LSFin impose au prestataire un devoir de déconseiller le service inadéquat).

À l’extrême, si la stratégie de placement envisagée par le client s’écarte trop de son profil de risque, peut-être que le prestataire devrait même renoncer à fournir la prestation s’il ne souhaite pas s’exposer – sous l’angle du droit privé – à un risque trop important de responsabilité. Cette hypothèse n’était pas pertinente en l’espèce car la stratégie de placement équilibrée mise en place par le prestataire correspondait au profil de risque du client, en particulier à sa capacité objective au risque et à l’évolution de son appétence subjective aux risques.