Accès aux données personnelles
La FINMA viole le droit d’être entendu
Célian Hirsch
Lorsqu’une personne visée par une mesure d’entraide administrative internationale demande à la FINMA, dans une détermination, d’avoir accès à tous les documents la concernant en se référant à l’art. 8 LPD, elle invoque valablement son droit d’accès aux données personnelles prévu par la LPD. La FINMA doit ainsi se prononcer sur cette requête, à défaut de quoi elle viole le droit d’être entendu du requérant. Le Tribunal administratif fédéral a, pour cette raison, admis le recours d’une personne visée par une mesure d’entraide administrative internationale en matière boursière et renvoyé la cause à la FINMA (arrêt B-3450/2018 du Tribunal administratif fédéral du 24 août 2018).
Le 4 août 2016, l’Autorité des Marchés Financiers du Québec (AMF) dépose une requête d’entraide administrative auprès de la FINMA dans le cadre d’une enquête sur un potentiel délit d’initié. Le 28 septembre 2017, l’AMF dépose une requête complémentaire. La FINMA informe la personne visée par les requêtes et lui transmet une copie du dossier, à l’exception des requêtes d’entraide qui ont, selon la FINMA, un caractère confidentiel.
Après plusieurs échanges d’écritures, la FINMA accorde l’entraide pour un premier volet. La personne visée recourt au Tribunal administratif fédéral, lequel considère notamment que le droit d’accès au dossier a été restreint de manière conforme à l’art. 42a al. 3 LFINMA (arrêt B-6294/2017 du 10 avril 2018, consid. 4.3). Le Tribunal administratif fédéral n’examine toutefois pas l’accès au dossier au regard de l’art. 8 LPD, cette norme n’ayant pas été invoquée devant la FINMA.
La personne visée requiert alors un accès complet au dossier et invoque cette fois-ci la LPD, laquelle est applicable aux procédures administratives de première instance (art. 2 al. 2 let. c LPD).
Dans sa décision d’admission concernant le deuxième volet de l’entraide, la FINMA affirme que le droit de consultation du dossier est valablement restreint aux conditions de l’art. 42a al. 3 LFINMA, tel qu’il l’a déjà été pour le premier volet.
La personne visée dépose un recours auprès du Tribunal administratif fédéral en invoquant notamment une violation du droit d’être entendu en raison du fait que la FINMA ne s’est pas prononcée sur son droit d’accès dûment invoqué. Dans sa réponse, la FINMA souligne qu’elle n’a pas reçu de demande formelle de la part de la personne visée ; elle n’avait donc pas à se prononcer à ce sujet.
En premier lieu, le Tribunal administratif rappelle que l’art. 26 PA et l’art. 8 LPD constituent deux droits distincts qui peuvent être invoqués indépendamment et cumulativement. D’un point de vue procédural, lorsque le droit d’accès prévu par l’art. 8 LPD est invoqué dans une procédure, cette question doit être tranché dans la même procédure, et non dans une procédure distincte. Le droit d’accès prévu par la LPD est, dans une certaine mesure, plus large que celui prévu par l’art. 26 PA puisque le requérant n’a pas besoin de se prévaloir d’un intérêt particulier. Il lui suffit de déposer sa demande par écrit et de justifier de son identité (art. 1 al. 1 OLPD).
De manière semblable au droit procédural de consulter le dossier (art. 26 et 27 PA), le droit d’accès prévu par la LPD peut également être restreint aux conditions prévues par l’art. 9 LPD. Bien que tant l’art. 27 PA que l’art. 9 LPD prévoient une pesée des intérêts afin de déterminer si le droit d’accès peut être valablement restreint, ces intérêts ne sont pas forcément les mêmes.
En l’espèce, la FINMA n’a pas examiné le droit d’accès de la recourante au regard de l’art. 8 LPD alors que les exigences de forme étaient remplies. En effet, la recourante n’avait pas besoin de déposer une demande formelle ni de la motiver. De plus, le droit d’accès prévu par l’art. 8 LPD étant un droit indépendant du droit d’accès au dossier, la recourante a formulé un grief pertinent qui aurait dû être examiné par la FINMA. Vu ce manquement, la FINMA a violé le droit d’être entendu de la recourante.
Le Tribunal administratif fédéral examine ensuite les documents qui lui ont été transmis par la FINMA avec l’indication « ne pas transmettre aux parties ». Il constate qu’à l’exception des demandes d’entraide, ce dossier ne contient en grande majorité aucune donnée personnelle concernant la recourante. Cette dernière n’a ainsi vraisemblablement pas droit d’y avoir accès. Toutefois, le Tribunal administratif fédéral n’exclut pas qu’il puisse exister d’autres documents tombant dans le champ d’application de l’art. 8 LPD. Partant, la violation du droit d’être entendu ne peut être guérie et le recours doit être admis.
Même si la personne visée par la mesure d’entraide a gagné ce recours, nous doutons que la FINMA lui transmette intégralement la requête d’entraide. En effet, la FINMA peut encore :
- rejeter intégralement la demande en raison de l’intérêt public prépondérant à garder secrets les éléments ayant trait à l’enquête en cours au Québec (intérêt public reconnu par le TAF dans son premier arrêt susmentionné au regard du droit d’accès au dossier en application de l’art. 42a al. 3 LFINMA), ou
- accepter la demande d’accès, mais caviarder certains passages en raison de l’existence d’un intérêt public prépondérant et en application du principe de la proportionnalité.
Les personnes visées par l’enquête ont également tenté, au Québec, d’obtenir la suspension de l’entraide administrative internationale, sans succès. Le Tribunal administratif des marchés financiers du Québec a rejeté le 27 avril 2018 cette requête. Le volet pénal a toutefois connu un autre sort : la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec a ordonné en juin 2018 « l’arrêt des procédures » en raison d’une atteinte au droit des personnes visées à un procès équitable.
Pour une analyse plus approfondie de l’accès aux données d’une procédure en application de l’art. 8 LPD, nous renvoyons le lecteur à notre récente publication : Célian Hirsch, L’accès aux données d’une procédure au regard de la LPD, in : Jusletter 17 septembre 2018.