Lutte contre le terrorisme
Modifications du CP, de la LBA et de l'EIMP dévoilées
Jeremy Bacharach
Le 14 septembre 2018, le Conseil fédéral a dévoilé son projet de renforcement de l’arsenal juridique disponible contre les actes terroristes et les organisations terroristes. Ce vaste projet, qui avait été mis en consultation en juin 2017, prévoit la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe du 16 mai 2005 pour la prévention du terrorisme et de son Protocole additionnel du 22 octobre 2015 ainsi que la modification de pas moins de sept lois fédérales, dont le Code pénal, la LBA et l’EIMP.
Le Conseil fédéral souhaite en premier lieu modifier les éléments constitutifs de l’infraction d’organisation criminelle (art. 260ter CP). L’art. 260ter P-CP ne requerrait plus que l’organisation tienne sa structure et son effectif secrets et, concernant l’infraction de « soutien » à une organisation criminelle, celle-ci serait réalisée dès que l’auteur soutient l’organisation « dans son activité » et non plus « dans son activité criminelle ». Cette modification vise à élargir la pratique actuelle du Tribunal fédéral, qui considère que l’auteur doit savoir que sa contribution pourrait servir la poursuite du but criminel de l’organisation, ou, du moins, envisager et accepter une telle possibilité (cf. notamment ATF 133 IV 58, consid. 5.3.1).
Le projet prévoit ensuite la création d’une nouvelle infraction d’« organisation terroriste ». Selon l’art. 260ter al. 2 P-CP, serait puni d’une peine privative de dix ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque participe à une organisation qui poursuit le but de commettre des actes de violence criminels visant à intimider une population ou à contraindre un État ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque (let. a) ou soutient une telle organisation dans son activité (let. b). Comme le mentionne à juste titre le Message, la nouveauté de cette infraction est relative, l’ensemble de ses éléments constitutifs étant d’ores et déjà réprimés par l’art. 260ter CP dans sa teneur actuelle.
L’introduction de la nouvelle infraction d’ « organisation terroriste » aura un impact substantiel sur la législation anti-blanchiment. La participation à une organisation terroriste constituera un cas de blanchiment aggravé (art. 305bis ch. 2 al. 2 let. a CP) et les obligations de diligence LBA en présence de valeurs patrimoniales soupçonnées de provenir d’une organisation criminelle (art. 6 al. 2 let. b et art. 8a al. 2 let. b LBA), ainsi que les devoirs de communication y relatifs (art. 9 al. 1 let. a ch. 1 et ch. 3 et al. 1 let. a, c et d LBA), seront étendus aux valeurs patrimoniales soupçonnées d’appartenir à une organisation terroriste au sens de l’art. 260ter al. 2 P-CP.
En matière de LBA toujours, le projet du Conseil fédéral prévoit d’élargir les compétences du MROS. L’art. 11 al. 2bis P-LBA permettrait au Bureau de communication de requérir d’intermédiaires financiers suisses des informations supplémentaires sur la base d’une demande ou d’une information reçue de la part d’une autorité étrangère. Cette possibilité était jusqu’ici réservée aux autorités pénales. La transmission d’informations à l’étranger restera toutefois régie par l’actuel art. 30 LBA.
Les modifications les plus profondes sont réservées au dispositif d’entraide internationale en matière pénale. Le Conseil fédéral souhaite adjoindre à l’EIMP dix articles portant sur la transmission anticipée d’informations et de moyens de preuve (art. 80dbis P-EIMP) et sur une institution de l’entraide jusqu’ici non traitée par l’EIMP, à savoir les équipes communes d’enquête (ECE, art. 80dter-80dduodecies P-EIMP).
L’art. 80dbis P-EIMP offre à l’autorité compétente la possibilité, à titre exceptionnel, de transmettre des informations ou des moyens de preuve aux autorités pénales étrangères avant de rendre une décision de clôture lorsque l’enquête à l’étranger le rend nécessaire (art. 80dbis al. 1 let. a P-EIMP) ou en cas de danger grave et imminent (art. 80dbis al. 1 let. b P-EIMP). Les alinéas 2 à 6 en précisent les conditions. Le Conseil fédéral fait ainsi suite à l’ATF 143 IV 186, qui a récemment constaté qu’une base légale pour ce faire faisait défaut dans l’actuelle EIMP. On notera avec circonspection que selon l’art. 80dbis al. 4 P-EIMP, « l’information de la personne touchée est différée ».
La notion d’ECE, déjà consacrée par l’art. 20 du Deuxième protocole additionnel à la CEEJ, désigne des équipes de procureurs et d’enquêteurs issus de plusieurs pays et chargés d’enquêter sur des crimes à caractère transnational. Les art. 80dter à 80dduodecies P-EIMP régleraient désormais, de manière subsidiaire (art. 1 al. 1 EIMP), la participation d’autorités suisses à de telles équipes. Les praticiens seront rendus attentifs au fait que, selon le projet du Conseil fédéral, les membres des ECE ont accès aux pièces, informations et moyens de preuve obtenus dans le cadre de l’enquête, sauf décision contraire d’un responsable de l’ECE (art. 80dsepties al. 1 et 2 P-EIMP), et qu’une transmission anticipée peut avoir lieu dans un tel cadre aux conditions de l’art. 80dbis P-EIMP.
Notons que, en l’état du P-EIMP, la loi n’octroie au justiciable aucune voie de droit à l’encontre de la transmission anticipée de moyens de preuve ou du partage des pièces dans le cadre d’une ECE.