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Gestion déloyale

Les rétrocessions sous l'œil du juge pénal

Le 14 août 2018, le Tribunal fédéral a rendu l’arrêt 6B_689/2016 (destiné à la publication), qui vient compléter les différentes jurisprudences rendues en matière de rétrocessions.

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral retient que l’art. 400 al. 1 CO, qui est la pierre angulaire du raisonnement relatif à l’obligation (de droit dispositif) de restituer les rétrocessions, crée une obligation « accrue ou qualifiée » d’agir et de protéger les intérêts du mandant. L’obligation de rendre compte joue un rôle préventif en vue de la protection des intérêts du mandant, car le respect de ce devoir permet au mandant de contrôler l’activité du mandataire. À l’inverse, la violation de cette obligation (découlant du droit civil) peut constituer un acte de gestion déloyale au sens de l’art. 158 CP. En réponse à un argument du recourant, le Tribunal fédéral retient que l’intégration, dans le rapport contractuel entre le mandant et le mandataire récipiendaire des rétrocessions, d’une clause générique de renonciation au droit à la restitution des rétrocessions (clause non-conforme aux exigences de la jurisprudence ; cf. ci-dessous) ne fait pas échec à une condamnation pénale pour des faits postérieurs au leading case de 2006 (cf. Arrêt 1 ci-dessous), alors même que les exigences en termes de devoir d’information n’ont été définitivement fixées par le Tribunal fédéral que dans un arrêt de 2011 (cf. Arrêt 2 ci-dessous). En d’autres termes, le Tribunal fédéral retient que le recourant a agi avec conscience et volonté sur tous les éléments de l’infraction de gestion déloyale à compter de la publication de l’Arrêt 1 (rendu le 22 mars 2006).

Aperçu des questions de droit pénal

Après être née en droit civil (cf. Rashid Bahar, cdbf.ch/446) et avoir connu différents prolongements en droit règlementaire (cf. notamment Lucia Gomez Richa, cdbf.ch/621 et Rashid Bahar, cdbf.ch/850), la saga des rétrocessions se poursuit ainsi dans le domaine du droit pénal. L’arrêt qui fait l’objet de ce résumé complète l’arrêt 6B_845/2014 du Tribunal fédéral du 16 mars 2015 (non publié), qui avait retenu que la violation de l’obligation de restitution pouvait déclencher une responsabilité pénale au sens de l’art. 158 CP (gestion déloyale). Dans l’arrêt commenté ici, le Tribunal fédéral accomplit toutefois un pas supplémentaire en retenant que la violation de l’obligation d’information peut déjà fonder une responsabilité pénale. À noter toutefois que la portée de cet arrêt ne doit pas être surestimée, dans la mesure où il est fondé sur une situation pathologique dans laquelle, au-delà de la question des rétrocessions, le gérant de fortune a cumulé les violations de ses obligations à l’égard du client, qui était du reste également son pupille.

Hormis l’application de la norme pénale relative à la gestion déloyale, les nouvelles normes réprimant la corruption privée (art. 322octies CP) pourraient également revêtir une importance significative dans ce domaine. Ainsi, offrir un avantage indu à un mandataire pour l’exécution ou l’omission d’un acte (i) en relation avec son activité professionnelle ou commerciale et (ii) qui est contraire à ses devoirs ou dépend de son pouvoir d’appréciation est punissable d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Une responsabilité pénale similaire s’applique à celui qui accepte un tel avantage indu (art. 322novies CP) (cf. Leandro Lepori, cdbf.ch/943).

En résumé, toutes les situations dans lesquelles le récipiendaire d’une rétrocession (par exemple un intermédiaire financier) est soumis à une obligation de fidélité à l’égard d’un tiers-mandant (par exemple le client final) doivent être examinées à la lumière de ces normes de droit pénal, en précisant qu’une divulgation complète des rétrocessions au tiers-mandant (client) constitue une piste pour limiter le risque pénal. Ces questions de droit pénal affectent tant celui qui paie des rétrocessions, que celui qui les reçoit.

Panorama des arrêts en matière de rétrocessions

Pour mémoire, dans une jurisprudence inaugurée en 2006, le Tribunal fédéral a rendu quatre grands arrêts en matière de rétrocessions, dont découlent les principes généraux qui régissent cette matière à l’heure actuelle :

Arrêt 1 : Le mandataire est en principe tenu de restituer au mandant tout ce que le mandataire a reçu du chef du mandat, y compris les rétrocessions, étant précisé que cette obligation de restitution est de droit dispositif (ATF 132 III 460, Rashid Bahar, cdbf.ch/446).

Arrêt 2 : La renonciation par le mandant au droit à la restitution des rétrocessions présuppose une information complète ex ante (ATF 137 III 393, Philipp Fischer, ch/773). Une renonciation valable présuppose ainsi que le client ait été, au préalable, informé (i) des paramètres essentiels de l’accord sur la base duquel les rétrocessions sont calculées et payées et (ii) du montant prévisible de celles-ci, par exemple par la communication des pourcentages (sous forme de fourchette) que les rétrocessions représentent par rapport aux actifs sous gestion. L’intermédiaire financier doit attirer spécifiquement l’attention du client inexpérimenté en matière financière sur les éventuels conflits d’intérêts qui peuvent découler de la perception de rétrocessions.

Arrêt 3 : Les indemnités de distribution, typiquement versées par un promoteur d’un produit financier à un distributeur (par exemple une banque), sont soumises au même régime juridique que les rétrocessions (ATF 138 III 755, Philipp Fischer, cdbf.ch/841).

Arrêt 4 : Le délai de prescription applicable à la créance en restitution des rétrocessions (i) est de 10 ans et (ii) court à compter du jour où le mandataire a reçu les rétrocessions (ATF 143 III 348, Philipp Fischer, cdbf.ch/978).

Par ailleurs, la LSFin retranscrit en droit administratif les principes dégagés par le Tribunal fédéral sur la base de raisonnements fondés sur le droit des obligations. Ainsi, l’art. 26 de la LSFin (qui devrait être complété par l’article 29 du projet d’ordonnance sur les services financiers) n’interdit pas les rétrocessions (désignées par le terme de « rémunérations reçues de tiers »), mais impose une transparence complète ex ante au prestataire de services financiers qui entend conserver celles-ci.