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Droit européen

La garantie des dépôts bancaires est-elle à géométrie variable ?

Le système de protection des déposants a pour objectif d’empêcher les retraits massifs de dépôts (bank runs) suite à une perte de confiance de la clientèle bancaire dans la solidité du système financier.

En Suisse, en cas de faillite d’une banque ou d’un négociant en valeurs mobilières, les dépôts bénéficient d’un traitement privilégié jusqu’à concurrence de 100’000 CHF (art. 37a al. 1 de la loi sur les banques (LB)). Si l’établissement mis en faillite dispose de liquidités suffisantes, les dépôts privilégiés sont remboursés immédiatement (art. 37b al. 1 LB). Le système de garantie des dépôts n’intervient qu’à titre subsidiaire lorsque les liquidités de l’établissement ne permettent pas un remboursement immédiat (art. 37h LB). Le délai de paiement est fixé à vingt jours ouvrables à compter de la communication des mesures protectrices ou de faillite prescrites par la FINMA (art. 37h al. 3 let. a LB). Le 15 février 2017, le Conseil fédéral a proposé de raccourcir ce délai à sept jours ouvrables. La consultation concernant la modification de la LB est prévue pour le mois de mars 2019.

En droit de l’Union européenne (UE), le délai de remboursement des dépôts garantis a été modifié à plusieurs reprises. Il a d’abord été raccourci de trois mois (art. 10 par. 1 de la directive 94/19/CE) à vingt jours ouvrables (art. 7bis de la directive 2009/14/CE). Il a ensuite été ramené à sept jours ouvrables (consid. 38 et art. 8 par. 1 de la directive 2014/49/UE). Comme la directive 94/19/CE, modifiée par la directive 2009/14/CE, sera abrogée à compter du 4 juillet 2019 (art. 21 de la directive 2014/49/UE), il faudra retenir ce dernier délai. Dans la transposition de la directive de 2014, les États membres auront la possibilité de raccourcir progressivement le délai de remboursement jusqu’au 31 décembre 2023 (art. 8 par. 2 de la directive 2014/49/UE).

Le délai de remboursement des dépôts garantis court à compter de la date à laquelle les autorités compétentes constatent que les dépôts des clients sont devenus « indisponibles  ». En vertu de l’art. 1er point 3 let. i) de la directive 94/19/CE, un dépôt devient indisponible lorsqu’il est « échu et exigible (…) et lorsque les autorités compétentes ont constaté que, de leur point de vue, pour le moment et pour les raisons liées directement à sa situation financière, cet établissement de crédit n’apparaît pas en mesure de pouvoir restituer les dépôts et qu’il n’y a pas de perspective rapprochée qu’il puisse le faire ».

Sur ce point, le droit de l’UE diverge du droit suisse. La garantie des dépôts européenne n’est pas liée au prononcé des mesures protectrices ou de liquidation prises par les autorités de surveillance. Le système européen de garantie des dépôts peut être déclenché même en cas de difficultés passagères de l’établissement de crédit à partir du moment où le dépôt ne peut être restitué « pour le moment » et « qu’il n’y a pas de perspective rapprochée pour le faire ».

Le constat de l’indisponibilité des dépôts doit intervenir dans un délai de cinq jours ouvrables (consid. 11 et 12 de la directive 2009/14/CE). La directive 2014/49/UE ne comporte aucune modification à ce sujet.

Il résulte de ce qui précède que le système européen de garantie des dépôts est très protecteur. La transposition de ce système dans les droits nationaux est un autre enjeu qui pose parfois des difficultés. Le droit bulgare en est une illustration.

Le 4 mars 2014, M. Kantarev a ouvert un compte courant auprès de la banque KTB. La banque KTB ayant fait face à une crise de liquidité, la Banque nationale bulgare (BNB) a mis cet établissement sous surveillance spéciale le 20 juin 2014. Le 6 novembre 2014, la BNB a révoqué l’autorisation bancaire de la KTB et a ouvert une procédure de faillite à son encontre. Le 4 décembre 2014, soit plus de cinq mois après la mise sous surveillance spéciale de la KTB, M. Kantarev a obtenu le remboursement de son capital de 86’973,81 BGN, ainsi que des intérêts échus au 6 novembre 2014 de 2’673,81 BGN.

M. Kantarev a formé un recours de droit administratif en invoquant que la BNB aurait dû constater l’indisponibilité des dépôts dans un délai de cinq jours à compter de la mise sous surveillance spéciale de la KTB, et non à compter de la révocation de l’agrément bancaire. Le remboursement tardif de son dépôt lui aurait occasionné un préjudice correspondant aux intérêts moratoires.

Par une décision du 4 novembre 2016, le Tribunal administratif de Varna a décidé de surseoir à statuer et de demander une décision préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur l’interprétation de l’art. 1er point 3 sous i), et de l’art. 10 par. 1 de la directive 94/19, telle que modifiée par la directive 2009/14.

Dans un arrêt du 4 octobre 2018, la CJUE a décidé que le délai de cinq jours pour constater l’indisponibilité des dépôts est un délai impératif (consid. 60). Le droit national ne peut pas y déroger. L’art. 23 par. 1 de la loi bulgare sur la garantie des dépôts bancaires, qui subordonne le remboursement des dépôts garantis à la révocation de l’agrément bancaire, ajoute une condition supplémentaire qui est contraire au droit de l’UE. Par conséquent, la directive n’a pas été transposée correctement.

Toutefois, le déposant peut encore se prévaloir de son contenu. La CJUE a jugé que l’art. 10 par. 1 de la directive 94/19 a un effet direct dans les droits nationaux. Cela signifie qu’il s’applique dans l’ordre juridique interne indépendamment de sa transposition. L’article doit énoncer une obligation claire, suffisamment précise et inconditionnelle pour avoir un effet direct (consid. 98). Or, ces conditions ont été remplies en l’espèce. La BNB qui a respecté le droit bulgare, au lieu d’appliquer directement la directive, a commis une « violation suffisamment caractérisée » du droit de l’UE (consid. 88-117). Le déposant a droit à réparation, sans qu’une faute de la BNB soit exigée (consid. 126-128). La garantie des dépôts n’est donc pas à géométrie variable.