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Responsabilité de la banque

La banque doit-elle vérifier les pouvoirs du titulaire du compte ?

Un organisme public allemand actionne une banque suisse pour récupérer des fonds publics qui avaient été déposés auprès de cette banque au nom d’une société et que la banque avait en conséquence laissés à la libre disposition de la société titulaire du compte. Le Tribunal fédéral considère que la banque aurait dû se préoccuper des droits de l’organisme public allemand et tranche en faveur de ce dernier, dans un long arrêt du 17 janvier 2019 (4A_302/2018), annulant un arrêt de l’Obergericht de Zurich.

Le recourant est un organisme public allemand (Bundesanstalt für vereinigungsbedingte Sonderaufgaben) qui, selon le droit allemand, était seul autorisé à disposer de certains fonds publics d’Allemagne de l’Est. Une société est-allemande, soumise à ces dispositions du droit allemand, était titulaire de comptes auprès d’une banque zurichoise. La question principale soumise aux tribunaux suisses était de savoir si, au-delà des apparences, la banque aurait dû réaliser que les fonds dont elle avait laissé la société est-allemande disposer, entre 1990 et 1992, pour CHF 97 mios environ, étaient des fonds publics dont cette société n’était pas libre de disposer.

Le Tribunal de district de Zurich a rejeté la demande en décembre 2016, considérant que la banque était de bonne foi et qu’on ne pouvait pas lui reprocher de n’avoir pas procédé à une analyse plus approfondie de la situation. L’Obergericht de Zurich, par arrêt du 18 avril 2018, a rejeté l’appel et confirmé le rejet de la demande. Il a considéré que, même si la banque ne pouvait pas invoquer sa bonne foi, une transaction conclue entre l’organisme public allemand et la société est-allemande interdisait à l’organisme public allemand de poursuivre la banque.

Le Tribunal fédéral, statuant à cinq juges, donne raison à l’organisme public allemand sur plusieurs points.

Sous l’angle de l’art. 158 LDIP, il était établi que les opérations litigieuses étaient intervenues en violation des restrictions des pouvoirs de représentation découlant de la loi allemande (visant spécifiquement les fonds publics est-allemands) et était litigieuse la question de savoir si la banque aurait dû connaître ces restrictions. La banque soutenait qu’on n’aurait pas pu attendre d’elle qu’elle connaisse de telles restrictions, mais le Tribunal fédéral confirme que le degré de diligence requis, en fonction des circonstances concrètes du cas d’espèce et compte tenu en particulier d’un retrait d’espèces de DM 20 mios intervenu en décembre 1990, ne permettait pas à la banque de se prévaloir de son ignorance (consid. 2.2). L’organisme public allemand soutenait de son côté que la banque aurait eu une obligation d’éclaircir la situation déjà auparavant, en juin 1990, suite à la réception d’un transfert de DM 67 mios. Le Tribunal fédéral suit le recourant sur ce point et considère que, même s’il s’agissait d’une entrée de fonds, cette opération aurait dû amener la banque à éclaircir la situation, compte tenu de la situation de l’Allemagne de l’Est à l’époque, du caractère insolite de l’opération et de l’incohérence des explications reçues (suite aux demandes de la banque à l’époque). Le Tribunal fédéral admet ainsi que, pour toutes les opérations intervenues après cette opération au crédit, la banque ne s’est pas libérée valablement (consid. 2.3). Le Tribunal fédéral renvoie ainsi la cause à l’Obergericht pour déterminer les montants à allouer pour la période complémentaire, entre juin et décembre 1990 (consid. 2.5).

Le Tribunal fédéral observe encore brièvement qu’il ne s’agit pas d’une simple faute légère de la banque, de sorte que la clause de transfert de risque (Freizeichnungsklausel) de ses conditions générales n’est pas applicable, comme l’avait d’ailleurs retenu l’Obergericht (consid. 2.4).

Peut-être une analyse plus fine aurait-elle pu se justifier concernant la clause contractuelle, en distinguant suivant les périodes. Il peut être un peu déstabilisant que le Tribunal fédéral qualifie de faute plus que légère une omission de la banque d’éclaircir la situation en juin 1990, alors que l’Obergericht considérait que la banque n’avait pas d’obligation d’éclaircir la situation à cette époque.

Le Tribunal fédéral examine ensuite la transaction extra-judiciaire intervenue en janvier 2009 entre l’organisme public allemand et la société est-allemande. Sur la base d’une interprétation objective de cette transaction, l’Obergericht avait considéré que le paiement de EUR 106 mios à l’organisme public allemand éteignait également les prétentions de ce dernier à l’encontre de la banque. Procédant à son tour à une interprétation objective de cette transaction, le Tribunal fédéral parvient à la conclusion contraire, à savoir que cette transaction visait à mettre un terme aux prétentions de l’organisme public allemand à l’encontre de la société est-allemande exclusivement, et non à l’encontre de la banque (consid. 4.2).

Il peut être inquiétant de constater que cette transaction, semblant néanmoins rédigée soigneusement (vu les montants en jeu), a pu donner lieu à des lectures aussi différentes par l’Obergericht et par le Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral laisse encore ouverte la question de savoir si l’organisme public allemand devrait tout de même se voir imputer tout ou partie des montants reçus de la société est-allemande, indépendamment de l’interprétation de la transaction, soit en fonction d’une solidarité qui existerait entre la banque et la société est-allemande (art. 147 CO), soit en fonction d’une gestion d’affaires sans mandat (art. 419 ss CO). À défaut de constatations de fait pertinentes, le Tribunal fédéral renvoie la cause à l’Obergericht pour juger de ces questions (consid. 4.2 in fine).

Si l’on souhaite prendre un peu de recul, on peut repenser à l’affaire du trésor du FLN, qui date d’il y a 45 ans. Alors que les juridictions genevoises avaient condamné une banque à verser environ CHF 40 mios à l’État algérien, le Tribunal fédéral avait admis le recours et rejeté la demande, considérant que la banque n’avait pas à s’intéresser aux rapports internes entre le FLN et son trésorier (ATF 100 II 200). Cet arrêt de 1974 n’apparaît plus d’actualité en 2019. La tendance des tribunaux est de relever les attentes vis-à-vis des banques, en particulier en présence d’opérations importantes et insolites, et apparemment sans possibilité d’exclusion contractuelle de responsabilité. Qu’on l’approuve ou non, on peut s’attendre à ce que cette tendance se poursuive.