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Responsabilité de la banque

Devoir de diligence : une nouvelle obligation à la charge du client

Le client qui ne relève pas son courrier en banque restante pendant quatre ans viole son devoir de diligence. Ainsi, et malgré la faute grave commise par la banque qui n’a pas vérifié l’authenticité d’ordres inhabituels, le client se voit opposer sa propre responsabilité contractuelle lorsqu’il tend à obtenir le remboursement de la part de la banque des transactions indues (TF, 4A_119/2018 du 7 janvier 2019).

En 2004, une cliente place son patrimoine d’environ 1,5 million d’euros auprès d’une banque suisse. Les conditions générales contiennent notamment une clause de banque restante, une clause de réclamation ainsi qu’une clause de transfert des risques.

Durant plusieurs années, la cliente se rend régulièrement dans les locaux de la banque où elle est reçue par son gérant. Lorsque ce dernier quitte la banque en avril 2007 pour rejoindre une société de gestion de fortune, la cliente retire le mandat de gestion de fortune à la banque. Elle le confie à cette société, en laissant néanmoins son patrimoine auprès de la banque. Depuis cette date, elle se rend exclusivement dans les locaux de la société où le gérant lui présente ses décomptes.

Entre 2006 et 2010, le gérant détourne, à l’insu de la cliente, presque l’intégralité des avoirs gérés, principalement en imitant sa signature. Invoquant la responsabilité de la banque, la cliente dépose une action en justice et réclame près de 1,3 million d’euros. Les deux instances cantonales vaudoises considèrent que les vérifications des transactions litigieuses effectuées par la banque étaient suffisantes et rejettent presque l’entier des prétentions. Dans un arrêt du 15 juin 2017, le Tribunal fédéral admet le recours de la cliente. Il considère que la clause de transfert de risque n’est pas applicable car la banque a commis une faute grave (4A_379/2016 commenté in Marie Jenny, cdbf.ch/979). Il renvoie la cause à l’instance cantonale en l’invitant à déterminer les conséquences juridiques découlant du fait que la cliente n’a pas prélevé son courrier adressé en banque restante pendant quatre ans.

Lors de l’examen de ce point, le Tribunal cantonal retient notamment que la cliente n’avait aucune obligation contractuelle de vérifier l’état de ses comptes. Dès lors, elle n’a pas commis de faute en omettant de prélever son courrier adressé en banque restante (HC/2017/1138 du 16 janvier 2018).

Saisi par la banque, le Tribunal fédéral commence par rappeler que, vu que la clause de transfert des risques n’est en l’espèce pas applicable, la cliente dispose d’une action en restitution des avoirs qui se trouvaient sur son compte. Pour s’opposer à cette action, la banque ne peut pas invoquer une faute concomitante de la cliente puisque cette dernière demande l’exécution du contrat, et non des dommages-intérêts. L’art. 44 CO ne trouve ainsi pas application.

Néanmoins, la banque peut invoquer une créance en compensation à l’action en restitution si la cliente a engagé sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de la banque. Il convient ainsi d’examiner, en premier lieu, si la cliente a violé ses obligations contractuelles en ne relevant pas son courrier en banque restante.

Après avoir rappelé la portée des clauses de banque restante et de réclamation (en reprenant les considérants publiés dans l’arrêt 4A_471/2017 du 3 septembre 2018, commenté in Célian Hirsch, cdbf.ch/1028), le Tribunal fédéral, citant Thévenoz, considère que « [l]es règles de la bonne foi imposent au client une obligation de diligence relativement à l’examen des communications reçues de la banque et à la contestation des écritures qui lui paraissent irrégulières ou infondées » (mise en évidence ajoutée).

En l’espèce, la cliente n’a pas relevé son courrier en banque restante ce qui l’a empêchée de pouvoir contester les ordres frauduleux et éviter ainsi l’aggravation du dommage. Elle a donc violé son « devoir de diligence ».

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie, à nouveau, la cause au Tribunal cantonal. Ce dernier devra examiner les conséquences de la violation de ce devoir : la cliente aurait-elle découvert le premier ordre frauduleux si elle avait relevé son courrier en banque restante ? Si la réponse est négative, elle ne peut être tenue pour responsable du dommage subi par la banque. Dans l’affirmative, le Tribunal cantonal devra peser les fautes respectives de la cliente et de la banque.

Cet arrêt est le premier, à notre connaissance, à imposer un tel devoir de diligence au client et, par la même occasion, à constater que le client l’a violé.

Bien que le Tribunal fédéral eût déjà annoncé l’existence de ce devoir de diligence, à la charge du client, dans l’arrêt 4A_471/2017 susmentionné, il l’avait appliqué dans un autre contexte : le client qui prenait effectivement connaissance des relevés d’investissement et qui disposait de connaissances suffisantes pour en appréhender leur portée devait se voir opposer la fiction de ratification. En effet, le devoir de diligence lui imposait d’examiner les opérations effectuées grâce aux relevés d’investissement afin, le cas échéant, de les contester.

Dans l’arrêt commenté ici, le devoir de diligence imposé au client se réfère non pas à la clause de ratification, mais à celle de banque restante : le client qui ne retire pas le courrier en banque restante viole son devoir de diligence.

Ce raisonnement ne convainc toutefois pas. Si l’on peut en effet imposer au client, en application du principe de la bonne foi, un devoir de prise de connaissance des documents effectivement remis, il n’en va pas de même, à notre avis, pour les documents gardés en banque restante. Un tel devoir aurait dû résulter du contrat conclu avec la banque, et non du principe général de la bonne foi. Créer une telle obligation en application de la bonne foi porte atteinte à la sécurité juridique, laquelle exige notamment que les justiciables puissent prévoir les obligations auxquelles ils seront soumis. De plus, la conclusion d’un contrat vise précisément à renforcer cette sécurité. Dès lors que les conditions générales de la banque ne prévoyaient pas une telle obligation, la cliente ne pouvait s’attendre à se voir reprocher d’avoir omis de relever ses comptes. Enfin, aucune mauvaise foi ne pouvait être reprochée à la cliente qui se rendait régulièrement auprès de son gérant afin de s’informer sur l’état de ses comptes. Néanmoins, et bien que le raisonnement ne soit pas convaincant, le résultat peut être satisfaisant : il permet au tribunal de pondérer les fautes respectives afin de ne pas faire porter l’entier du dommage à une seule partie.