Révision de la LBA
Le système de communication au MROS doit être réformé
Urs Zulauf
Doris Hutzler
La pratique actuelle des autorités et des tribunaux a entraîné la baisse du seuil d’annonce de soupçons au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS). Cette tendance s’est traduite par une forte augmentation des communications. On ne peut désormais plus faire marche arrière. Il faut maintenant un cadre juridique stable pour ce système.
Le Conseil national se penchera prochainement sur le Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi sur la lutte contre le blanchiment d’argent, qui est en suspens depuis juin 2019. Les communications de soupçons au MROS ne constituent qu’une partie marginale des propositions. Injustement. Le système d’établissement des communications mérite un ajustement au niveau législatif. De quoi parle-t-on ?
Les banques doivent signaler au MROS les relations et transactions commerciales suspectes (art. 9 LBA). Le MROS analyse ces signalements et, si les soupçons sont confirmés, les transmet aux autorités pénales accompagnés d’informations contextuelles. Il remplit donc une fonction importante d’analyse et de filtrage. Ces communications sont considérées comme un pilier central de la lutte contre le blanchiment d’argent.
Selon le libellé de la loi sur le blanchiment d’argent, le seuil de cette obligation de communication est atteint en cas de « soupçons fondés » entre les avoirs déposés et de graves infractions pénales. Selon la pratique actuelle de la FINMA et du Département fédéral des finances (DFF) en tant qu’autorité de poursuite des violations à l’obligation de communiquer, même un « simple doute » sur la légalité de ces avoirs donnerait lieu à une obligation de déclaration s’il ne peut être dissipé par une enquête de la banque. Cette pratique a pu être confirmée à plusieurs reprises par les tribunaux.
Les banques, en particulier, se sont adaptées à la pression des procédures de surveillance et des procédures pénales administratives et communiquent désormais plus tôt et plus fréquemment. Toutefois, de nombreuses banques ont jusqu’à présent communiqué leurs annonces sur la base du droit de communication prévu par le Code pénal (art. 305er al. 2 CP). Ce droit leur permet de communiquer les relations d’affaires et les transactions qu’elles estiment douteuses sans risquer de violer le secret bancaire et sans disposer de preuves suffisantes pour étayer leurs soupçons. En raison de l’abaissement de facto du seuil de communication, la différence entre le droit de communiquer et le devoir de communiquer ne peut plus être expliquée.
Si l’on compare avec des places financières similaires, le nombre d’annonces en Suisse demeure encore modeste. Néanmoins, la forte augmentation du nombre d’annonces a entraîné un retard dans leur traitement par le MROS. Du point de vue de l’organisme international de « standard-setting » dans le domaine du blanchiment de capitaux, le Groupe d’action financière contre le blanchiment de capitaux (GAFI), la Suisse a encore du chemin à parcourir. Simultanément, le Conseil fédéral s’inquiète dans son message du nombre élevé d’annonces insuffisamment étayées et évoque même, dans ces cas, des poursuites pénales pour manquement aux obligations de communication.
Cette spirale de pressions de la part des autorités, d’annonces plus nombreuses mais faiblement étayées des banques et de nouvelles exigences font fausse route. Ce qu’il faudrait au contraire, c’est une approche qui tienne compte des réalités actuelles. L’une de ces réalités est que la Suisse a décidé à juste titre d’appliquer les standards internationaux à sa place financière. Pour cette unique raison, il n’est plus possible de faire marche arrière. Il ne serait pas concevable d’expliquer cela au GAFI. Cela serait d’ailleurs une erreur.
Ce qu’il faut, cependant, c’est une clarification des attentes au niveau législatif. Nous recommandons ainsi d’introduire une obligation de communication composée de deux seuils, accompagnée d’une suppression du droit de communication. Conformément à la jurisprudence actuelle, un simple doute devrait faire l’objet d’une communication obligatoire s’il ne peut être éliminé par les clarifications exigées par le droit prudentiel. Si, en outre, il existe une indication suffisamment concrète d’une infraction pénale grave, une « communication prioritaire » exhaustivement clarifiée, étayée et documentée devrait être soumise. Cette communication devrait toujours être traitée en priorité par le MROS. Confronté à un cas d’absence de soupçon concret d’infraction pénale grave, une « communication secondaire » devrait être réalisée avec des obligations simplifiées de justification et de documentation ainsi que des exigences uniformisées d’analyse par le MROS.
En outre, le MROS devrait recevoir un mandat juridique clair lui permettant d’analyser les annonces sous l’angle de la « financial intelligence », notamment à l’aide de méthodes d’analyse technique modernes et par l’intensification des échanges d’informations avec les intermédiaires financiers. S’il arrive que ces personnes et leurs employés puissent être des « auteurs » d’infractions dans des cas isolés, ils sont avant tout d’importants partenaires qui collaborent avec les autorités dans la lutte contre la criminalité. Enfin, il conviendrait d’examiner la possibilité d’une exonération de la responsabilité pénale en cas de violation par négligence d’une obligation de communication sur la base de ce seuil abaissé.
Nous recommandons à la Commission juridique du Conseil national de poursuivre les débats sur ces points et de demander un rapport complémentaire ainsi qu’une motion au Conseil fédéral.
Ce commentaire paraît également aujourd’hui dans la NZZ comme Gastkommentar.