Criminalité économique
Deuxième arrêt de principe en matière de responsabilité pénale de l’entreprise
Katia Villard
Les jurisprudences du Tribunal fédéral relatives à la responsabilité pénale de l’entreprise consacrée à l’art. 102 CP se comptent sur les doigts d’une main. Après l’ATF 142 IV 333, le Tribunal fédéral a rendu le 12 décembre 2019 son deuxième arrêt de principe en la matière (6B_31/2019, destiné à la publication). Dans cette décision, le TF a reconnu que le délai de prescription applicable à l’art. 102 CP se calculait en fonction de l’infraction de base reprochée à l’entreprise. Ce faisant, le Tribunal fédéral a tranché le débat doctrinal le plus controversé depuis l’entrée en vigueur de la responsabilité pénale de l’entreprise en 2003, soit la question de savoir si l’art. 102 CP devait être considéré comme une norme d’imputation ou une infraction sui generis.
En mars 2018, le Ministère public argovien a classé une poursuite pénale ouverte pour blanchiment d’argent contre la banque B. (art. 305bis cum 102 al. 2 CP) en raison de la survenance de la prescription (art. 319 al. 1 let. d CPP). Le recours des parties plaignantes a été admis par le Tribunal cantonal : dès lors que la question du délai de prescription en matière de responsabilité pénale de l’entreprise n’avait jamais été tranchée par le Tribunal fédéral, le Ministère public devait, in dubio pro duriore, continuer la procédure. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours du Ministère public.
Sous l’angle formel, les juges de Mon Repos commencent par examiner la recevabilité. L’arrêt cantonal est une décision incidente mais il porte sur une procédure complexe et soulève une question juridique de principe. L’admission du recours pourrait conduire immédiatement à une décision finale permettant d’éviter une procédure longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). Il se justifie donc d’entrer en matière.
Sur le fond, le Tribunal fédéral rappelle les deux grands courants doctrinaux qui s’opposent sur la nature de l’infraction reprochée à l’entreprise.
Le premier, auquel le Ministère public se rallie, considère l’art. 102 CP comme une incrimination sui generis, une infraction de « mauvaise organisation » dont les éléments constitutifs consistent en les manquements organisationnels de l’entreprise. La sanction prévue étant une amende, la disposition constitue une contravention (art. 103 CP), de sorte que le délai de prescription n’est que de trois ans (art. 109 CP). Ce délai commence à courir dès que l’entreprise a remédié à ses carences organisationnelles.
En l’espèce, celles-ci ont été éliminées avant mars 2013, de sorte que l’infraction reprochée à la banque serait, selon cette première position, aujourd’hui prescrite.
Le second courant voit en l’art. 102 CP une règle d’imputation. L’infraction commise par la personne physique est, sous certaines conditions, imputée à l’entreprise. La notion d’imputation résulte du texte même de la loi. Sous l’angle de l’interprétation systématique, la norme est située dans la partie générale du Code pénal et non dans la liste des infractions qui font l’objet de la partie spéciale. Il ressort des travaux préparatoires que l’usage, à l’art. 102 CP, du terme « amende » ne signifie pas que le législateur ait entendu faire de cette disposition une contravention.
Dans cette conception, tant la durée que le dies a quo du délai de prescription se déterminent de la même manière que pour l’infraction de base.
Le Tribunal fédéral a suivi cette deuxième position, à laquelle nous adhérons également, et a dès lors rejeté l’argumentation du Ministère public.
Les juges de Mon Repos ne calculent en revanche pas le moment de la survenance de la prescription in casu, estimant qu’il s’agit là d’une prérogative du juge du fond, qui n’appartient d’ailleurs pas davantage à la deuxième instance cantonale.
Le raisonnement nous semble emporter la conviction. En l’espèce, vu l’ancienneté des évènements, la question de la prescription ne peut être tranchée indépendamment de la qualification juridique du complexe de faits sous enquête. Le blanchiment d’argent « simple » se prescrit par sept ans selon le droit alors applicable, le blanchiment aggravé par quinze ans.
En l’occurrence, les faits potentiellement constitutifs de blanchiment d’argent n’apparaissent pas établis et l’instruction doit donc se poursuivre.