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Coopération internationale et séquestre de valeurs patrimoniales

Le créancier gagiste préféré à l’État requérant

Dans le cadre d’une procédure d’entraide judiciaire, le privilège du créancier gagiste s’oppose à la remise à l’État requérant des valeurs patrimoniales nanties, au titre de l’exécution d’une créance compensatrice prononcée dans cet État. Dans un arrêt intéressant, le Tribunal pénal fédéral (TPF) admet le recours de la banque titulaire du droit de gage et lève le séquestre sur les avoirs litigieux (RR.2019.132 du 29 janvier 2020).

En 2008, la société B. AG a ouvert un compte n°1 auprès d’une banque suisse. Elle a désigné comme ayant droit économique D., puis, à partir de 2012, E.

Le 24 février 2011, la société chypriote F. Ltd a ouvert un compte n°2 dans le même établissement financier. Simultanément, la banque a accordé à F. Ltd une ligne de crédit de EUR 36 millions, avec remboursement le 2 mars 2012 au plus tard. Le lendemain, un contrat de nantissement a été conclu entre B. AG et la banque, aux termes duquel les éventuelles prétentions de la banque à l’égard du compte n°2 étaient garanties par les avoirs déposés sur le compte n°1. Les retraits du compte n°2 se sont élevés à près de EUR 31 millions.

En février 2012, les autorités grecques requièrent l’entraide de la Suisse. E. et D. sont soupçonnés de diverses infractions au préjudice d’une banque grecque pour un dommage dépassant les EUR 700 millions.

Un mois plus tard, le Ministère public de la Confédération (MPC) bloque le compte n°1, dont les avoirs s’élèvent à plus de EUR 48 millions.

F. Ltd n’ayant pas remboursé le prêt à l’échéance du 2 mars 2012, la banque a dénoncé le contrat. En septembre 2013, le Tribunal de première instance genevois a condamné cette société à verser à la banque un montant de plus de EUR 31 millions au titre du contrat de prêt. En mai 2015, il a constaté l’existence du droit de gage de la banque sur les avoirs du compte n°1. Ces deux jugements sont entrés en force.

En octobre 2018, le MPC, dans une « décision de clôture en matière d’entraide judiciaire », lève partiellement le séquestre ordonné en 2012 sur le compte n°1. Sur recours de la banque, le TPF ordonne la levée intégrale du séquestre (RR.2018.309). Après un aller-retour au Tribunal fédéral (1C_146/2019), le TPF confirme le dispositif de sa première décision le 29 janvier 2020.

Le cas a été tranché au regard de l’EIMP, dès lors qu’il soulevait des questions non réglées par la Convention européenne d’entraide judiciaire (art. 1 EIMP).

Sur le plan de la recevabilité, deux remarques peuvent être effectuées. Premièrement, le TPF estime que, contrairement à la qualification retenue par le Ministère public – et qu’il n’avait d’ailleurs pas remise en cause dans son premier arrêt rendu dans cette affaire –, la décision maintenant partiellement la saisie des valeurs patrimoniales ne met pas fin à la procédure, de sorte qu’il s’agit d’une décision incidente et non d’une décision de clôture de l’entraide (cf. art. 80e EIMP). Le principe de la bonne foi interdit toutefois de remettre en cause cette qualification, ne serait-ce que pour des motifs tirés du délai de recours. Secondement, la banque, titulaire d’un droit réel sur le compte séquestré, dispose de la qualité pour recourir au sens de l’art. 80h let. b EIMP.

Sur le fond, le TPF note que la saisie des avoirs vise à l’exécution d’une (éventuelle) créance compensatrice et non d’une décision de confiscation. L’art. 74a EIMP relatif à la remise de fonds à l’État requérant en vue de confiscation ou de restitution à l’ayant droit ne s’applique pas. La problématique doit s’examiner au regard des art. 94 ss EIMP qui traitent de l’exécution, en Suisse, des décisions étrangères, notamment celles prononçant une créance compensatrice. Si une remise des avoirs à la Grèce apparait possible sur la base de ces dispositions, les valeurs peuvent être saisies. Dans le cas contraire, le séquestre doit être levé.

Sans examiner les conditions des art. 94 ss EIMP, le TPF parvient à la conclusion – intermédiaire – qu’une remise à la Grèce des fonds bloqués sur le compte n°1 apparait d’emblée impossible dès lors que, selon le droit suisse, le prononcé d’une créance compensatrice ne crée pas de droit de préférence de l’État par rapport aux autres poursuivants lors de l’exécution forcée de la créance (art. 71 al. 3 CP). Or, en vertu de son droit de gage, la banque bénéficie, elle, d’un privilège sur les autres créanciers.

Mais le TPF ne s’arrête pas là. La suite de son raisonnement s’articule autour de la question de savoir si la Grèce pourrait faire valoir une créance compensatrice directement à l’encontre de la banque, par le biais d’une confiscation en mains de tiers, mécanisme également applicable en matière de créance compensatrice (art. 71 al. 1 CP).

La confiscation en mains de tiers est toutefois exclue lorsque ce dernier a acquis les valeurs dans l’ignorance que celles-ci pouvaient provenir d’une infraction (condition de la bonne foi) et s’il a fourni (toujours de bonne foi) une contre-prestation adéquate antérieurement à la réception des valeurs d’origine illicite (art. 70 al. 2 CP).

En l’occurrence, le TPF reconnaît que la banque était de bonne foi au moment de l’octroi de la ligne de crédit et de l’acquisition du droit de gage. En outre, le prêt qu’elle a accordé constitue une contre-prestation adéquate.

En conséquence, la Grèce ne peut pas faire valoir de créance compensatrice à l’encontre de la banque.

Le TPF note enfin qu’un refus de remettre les valeurs patrimoniales litigieuses à la Grèce ne viole pas les exigences posées par la Convention de Strasbourg de 1990 relative au blanchiment et à la confiscation des produits du crime (CBI). Les dispositions idoines de la CBI ne sont pas directement applicables et permettent de refuser la coopération internationale notamment si la mesure sollicitée est contraire aux principes fondamentaux de l’ordre juridique de l’État requis. La mise en danger des prétentions de « ressortissants » de la partie requise résultant du droit des poursuites en fait partie.