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Réforme fiscale

Enjeux de la réforme de l’impôt anticipé pour le secteur bancaire

Après l’adoption de lignes directrices concernant la modification de la Loi fédérale sur l’impôt anticipé (LIA), le Conseil fédéral a ouvert le 3 avril 2020 une procédure de consultation au sujet d’une importante réforme de la LIA (cf. Stoyanova in cdbf.ch/1089). Celle-ci vise principalement à renforcer le marché suisse des capitaux de tiers et à améliorer la fonction de garantie de l’impôt anticipé (IA). Cette fonction est présentée comme « la garantie d’une taxation correcte de l’impôt sur le revenu et la fortune » (FF 2018 2384).

Selon le droit en vigueur, l’IA est perçu sur certains revenus de capitaux mobiliers suisses (art. 4 LIA) pour autant que le débiteur (notamment la société ou le placement collectif qui versent ces revenus) ait son siège en Suisse (art. 9 cum art. 10 LIA). Le taux de l’impôt s’élève à 35 % de la prestation imposable (art. 13 LIA) et est prélevé indépendamment de l’identité de l’investisseur (étranger, suisse ou institutionnel).

L’avant-projet propose en particulier un passage « partiel  » du principe du débiteur à celui de l’agent payeur. La notion d’agent payeur inclut en priorité les banques (art. 9 al. 1bis AP-LIA). Dans certaines circonstances, les émetteurs d’obligations, les gérants de fortune, ainsi que les trustees peuvent aussi être qualifiés comme tels (Rapport explicatif, p. 36). En l’état de la réforme, il est prévu que l’agent payeur domicilié en Suisse devra retenir (ou non) l’impôt anticipé en fonction de l’identité du bénéficiaire de la prestation imposable (art. 4 cum art. 10 AP-LIA). La personne de l’investisseur serait donc prise en compte dès le prélèvement, et non uniquement au moment du remboursement de l’IA.

Le passage au principe de l’agent payeur est « partiel » car le débiteur reste tenu de prélever l’impôt sur les rendements des droits de participations suisses (art. 4 let. d AP-LIA). L’avant-projet prévoit toutefois une imposition à la source, selon le principe de l’agent payeur, pour tous les placements portant intérêts détenus par des personnes physiques domiciliées en Suisse auprès d’une banque suisse, ce qui pourrait inclure à l’avenir les titres étrangers (art. 13 al. 1bis AP-LIA). La fonction purement fiscale de l’IA se voit donc renforcée.

Concernant les personnes morales, les sociétés de capitaux suisses obligées de tenir une comptabilité (art. 957 al. 1 ch. 2 CO) pourraient bénéficier d’un nouveau cas d’exonération de l’IA (art. 5a AP-LIA). L’obligation de refléter les produits et les charges de manière fiable et prudente dans la comptabilité suffirait à garantir l’impôt. L’IA ne se justifierait donc plus.

Une exonération des personnes morales domiciliées en Suisse et des investisseurs étrangers qui investissent dans des placements suisses portant intérêt est également proposée. Cette mesure devrait renforcer le marché obligataire suisse dans son ensemble. Il sied de rappeler qu’après la crise, l’IA a déjà été provisoirement supprimé sur les intérêts de certains instruments dits Too big to fail. Les CoCos, les bail-in bonds et les write-off bonds (art. 5 al. 1 let. g et i LIA) sont exemptés de l’IA jusqu’au 31 décembre 2021. Étant donné que la réforme entrera probablement en vigueur après cette date, la question de l’imposition (ou non) de ces obligations dans l’intervalle devra être débattue.

Le traitement fiscal des placements collectifs de capitaux (PCC) constitue un axe très important de la réforme. Afin d’élargir la fonction de garantie de l’IA, les placements indirects y seront désormais soumis, ce qui couvrira les rendements d’intérêts en relation avec un PCC étranger, un PCC suisse non couvert par la LPCC ou un produit structuré.

Pour pouvoir procéder à la retenue de l’IA, l’agent payeur doit déterminer la part d’intérêt de chaque produit imposable. Contrairement au débiteur de la prestation, celui-ci ne dispose pas de cette information dès le début. L’avant-projet prévoit donc de procéder à une comptabilisation séparée des intérêts pour distinguer les revenus soumis à l’IA de ceux qui ne le sont pas. Cette exigence n’étant actuellement pas requise, les PCC subiront des charges additionnelles. A défaut de comptabilisation séparée, l’IA pour les personnes physiques domiciliées en Suisse devra être prélevé sur la totalité du rendement, par analogie avec la réglementation des gains en capital (art. 16 al. 3 LIFD).

Une difficulté supplémentaire s’ajoute concernant les fonds de thésaurisation. L’impôt anticipé est dû, sans qu’il y ait eu des flux à destination des investisseurs, puisque la valeur des parts augmente au moment du réinvestissement. Le risque de responsabilité apparaît comme plus grand pour les agents payeurs devant procéder à une déduction d’impôt malgré l’absence de flux de fonds. Les agents payeurs pourraient donc anticiper, dans le cadre de leurs rapports de droit privé avec les clients (par ex. conditions générales), des mesures appropriées pour que l’IA puisse être remboursé correctement (cf. Rapport explicatif, p. 38).

Au regard des difficultés pratiques de mise en œuvre de la réforme, une adaptation du moment de prélèvement de l’IA est prévue. Les agents payeurs ne devront verser le nouvel impôt anticipé que trimestriellement (art. 16 let. b AP-LIA). Une telle fréquence permettra de corriger les éventuels décomptes erronés et de faire coïncider le moment du prélèvement avec celui du versement à l’AFC.

En dépit de ces adaptations, les banques suisses subiront des répercussions administratives et juridiques relativement importantes en tant que contribuables de l’IA et responsables de son recouvrement (art. 10 al. 1 let. a AP-LIA). Un risque d’exode vers les banques étrangères non soumises à l’IA pèse ainsi sur la place financière suisse. Il devrait être tempéré en raison de l’échange automatique de renseignements. Si la Suisse n’a toutefois pas conclu d’accord EAR avec le pays étranger, le risque de délocalisation pourrait être bien réel.