Aller au contenu principal

Rétrocessions

Étendue du devoir d’information permettant de fonder une renonciation au droit à la restitution

Le Tribunal fédéral a récemment rendu un nouvel arrêt en matière de rétrocessions (4A_355/2019 du 13 mai 2020). La situation factuelle peut être résumée comme suit.

Deux époux ont confié à un gestionnaire de fortune un mandat de gestion discrétionnaire sur leurs avoirs. Ce mandat prévoyait que les époux renoncent à la restitution des rétrocessions perçues par la société de gestion. Dans ce contexte, une notice d’information précisait notamment ce qui suit :

« [La] rémunération sur la masse détenue en fonds de placement, produits structurés, autres produits bancaires ou sur les apports effectués par le client se situe dans une fourchette allant de 0 % à 1 % du volume investi ».

Le Tribunal fédéral a examiné dans quelle mesure cette clause fournit une information suffisante pour fonder une renonciation au droit à la restitution des rétrocessions.

Dans un arrêt de principe de 2006 (ATF 132 III 460, cf. Rashid Bahar, cdbf.ch/446), le Tribunal fédéral a jugé que les rétrocessions qu’un gérant de fortune indépendant reçoit de la banque dépositaire sont en principe soumises à une obligation de restitution au client (art. 400 al. 1 CO). Dans une jurisprudence postérieure (ATF 137 III 393, cf. Philipp Fischer, cdbf.ch/773), le Tribunal fédéral a précisé qu’une renonciation au droit à la restitution est possible si le client a reçu une information complète sur les rétrocessions attendues, à savoir :

  1. les valeurs déterminantes (Eckwerte) des conventions de rétrocessions passées avec des tiers ; et
  2. l’ordre de grandeur des rétrocessions escomptées.

Sur le plan (auto-)règlementaire, ces principes de droit civil ont été, partiellement, retranscrits dans la Circulaire FINMA 2009/01 (Règles-cadres pour la gestion de fortune) (N 30) et dans les Directives de l’ASB concernant le mandat de gestion de fortune (article 16). Ces deux textes prévoient que le mandataire doit informer son client des paramètres de calcul et des fourchettes de valeurs des prestations qu’il reçoit ou pourrait recevoir de tiers, sans toutefois faire mention de l’“ordre de grandeur » des rétrocessions potentielles.

Dans la décision analysée ici, le Tribunal fédéral a estimé que l’information fournie au client n’était pas suffisante, car la clause permettait seulement de déterminer les rétrocessions en fonction des montants investis en instruments financiers, mais ne fournissait pas d’informations « sur le montant total des rétrocessions susceptibles d’être perçues en fonction d’un pourcentage déterminé de [la] masse sous gestion » (c. 3.2). Selon le Tribunal fédéral, le client doit pouvoir comparer la rémunération directe du mandataire (calculée en fonction des avoirs sous gestion) avec la rémunération indirecte (sous forme de rétrocessions). Faute de permettre une telle comparaison, l’information fournie dans le cas d’espèce ne permettait pas de fonder une renonciation valable au droit à la restitution.

Cette décision souligne l’importance du devoir d’information ex ante en tant que préalable à une renonciation au droit à la restitution des rétrocessions. Dans la mesure où le Tribunal fédéral a fondé son raisonnement sur l’art. 400 al. 1 CO, la portée de cette jurisprudence n’est pas limitée aux gestionnaires de fortune, mais s’étend à tous les mandataires.

S’agissant des intermédiaires financiers, la mise en œuvre concrète des exigences du Tribunal fédéral peut s’avérer ardue. En effet, au moment de la conclusion du contrat de gestion de fortune (ou de l’initiation de la relation bancaire), l’intermédiaire financier ne connaît pas encore les investissements qui seront entrepris et donc le montant des rétrocessions escomptées. Ceci est d’autant plus vrai que, dans le cadre du mandat de conseil ou d’un rapport d’execution only, les décisions d’investissement sont du ressort exclusif du client. L’on relèvera dans ce contexte que, dans l’ATF 138 III 755 (c. 5.5), le Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si le devoir de restitution des rétrocessions s’appliquait également en matière d’execution only (le Handelsgericht de Zurich a répondu à cette question par l’affirmative (HG150054-O, c. 3.2)).

Suite à cet arrêt, plusieurs approches pourraient être envisagées, dont certaines sont esquissées ci-dessous :

  • Dans le cadre de la gestion de fortune, l’intermédiaire financier pourrait donner une fourchette de rétrocessions (déterminée en fonction des actifs sous gestion) dans la mesure où la structure du portefeuille hypothétique sous mandat de gestion peut, dans certains cas, être estimée. Cette approche permettrait au client de disposer d’une idée approximative du montant des rémunérations indirectes perçues par le mandataire. Cette option ne devrait que difficilement être envisageable en matière de conseil en placement et d’execution only. Cela étant dit, dans le cadre de ces relations, le client donne l’instruction et une information ex ante « en fonction du volume investi » permet d’apprécier l’existence et l’intensité d’un éventuel conflit d’intérêts.
  • L’intermédiaire financier pourrait envisager une information spontanée, sur une base trimestrielle ou annuelle, au sujet des rétrocessions obtenues (le droit du mandat n’exige en principe une telle information ex post que sur requête). Une telle information proactive fournie à intervalles réguliers permettrait de donner au client la possibilité de comparer la rémunération directe et la rémunération indirecte du mandataire. Si une telle information ex post est fournie pendant une certaine période sans contestation de la part du client, ce dernier pourrait être réputé avoir renoncé valablement à la restitution des rétrocessions.

Finalement, il est important de noter que l’arrêt présenté ici a été rendu en application du droit du mandat. La LSFin retranscrit en droit administratif les principes de droit civil dégagés par le Tribunal fédéral. Ainsi, il est vraisemblable que les développements qui figurent ci-dessus s’appliquent également dans le cadre des art. 26 LSFin et 29 OSFin (dispositions applicables notamment au mandat de gestion, au mandat de conseil en placement et aux relations d’execution only).