Procédure civile
L’authenticité des contrats bancaires
Nicolas Ollivier
Le Tribunal fédéral a confirmé dans un arrêt du 15 juin 2020 (4A_540/2019) un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Zurich (HG170109-O) qui déboute un client qui se prétendait victime d’une fraude commise par le biais d’un prêt accordé à une société E, cliente de la même banque que le client.
Le 7 janvier 2008, le client ouvre un compte personnel auprès de la banque et un compte lié à une police d’assurance-vie. Le client transfère de son compte personnel au compte d’assurance-vie des montants en différentes devises totalisant CHF 42 millions. La banque reçoit copie d’un mandat de gestion de fortune liant le client à E daté du 1er juin 2008. Le 20 juin 2008, la banque octroie un prêt à la société E, garanti par un acte de nantissement grevant le compte d’assurance-vie. La Banque réceptionne ensuite le 15 décembre 2008 une lettre signée du client qui résilie le mandat de gestion pour mauvaise performance et requiert que les soldes débiteurs du compte de E ouverts auprès de la banque soient couverts par les avoirs du compte personnel du client.
Vu l’insuffisance des avoirs sur le compte personnel du client pour couvrir les soldes débiteurs du compte de E, la banque octroie au client un prêt de plus de JPY 3 milliards (équivalent à quelque CHF 37 millions), qui est crédité sur son compte personnel le 19 décembre 2008, et aussitôt transféré sur le compte de E. Au fil des ans, le prêt de JPY 3 milliards est renouvelé en différents autres prêts libellés dans d’autres devises et remboursés par débits de EUR 28’001’738, USD 6’135’525 et JPY 6’357’307 du compte personnel du client. Le 2 septembre 2015, la banque informe le client que son conseiller à la clientèle quitte son poste. Cet employé de la banque remet alors au client une lettre d’excuses confessant des pertes cachées au moyen « d’un prêt ». Le client requiert alors de la banque la remise des documents de son dossier. Dès réception de ceux-ci, le client affirme que sa signature a été falsifiée sur le mandat de gestion et les documents relatifs au nantissement et aux prêts, n’avoir aucun lien avec la société E et que les relevés remis durant la relation bancaire par son conseiller ne mentionnaient pas les prêts.
Le client ouvre action à l’encontre de la Banque en concluant à sa condamnation à payer EUR 28’001’738, USD 6’135’525 et JPY 6’357’307. Le Tribunal de commerce déboute le client. Le Tribunal fédéral confirme ce jugement.
La monnaie des conclusions
Le Handelsgericht rejette l’action basée sur le transfert litigieux du 19 décembre 2008 au motif que le client requiert le paiement de devises qui ne sont pas dues en vertu de l’art. 84 al. 1 CO. Le Tribunal cantonal relève que les conclusions prises ne correspondent pas au montant du prêt litigieux de JPY 3 milliards du 19 décembre 2008, mais aux prêts subséquents en EUR, USD et JPY.
Le Tribunal cantonal considère même que la conclusion de JPY 6’357’307 doit être rejetée bien que cette devise soit identique à celle du prêt initial de JPY 3 milliards. Se basant sur la théorie binôme de l’objet du litige (l’objet du litige est composé de la conclusion et du complexe de faits invoqué), les juges cantonaux relèvent que les JPY 6’357’307 correspondent aux intérêts payés pour un des prêts subséquents et ne concernent donc pas le prêt initial. Les prétentions n’étant pas identiques, une conversion (Konversion) des JPY 6’357’307 dans l’action en exécution relative au prêt de JPY 3 milliards du 19 décembre 2008 n’est pas possible.
Un tel raisonnement suggère que le client bien avisé doit retracer toutes les transactions économiquement liées à une transaction initiale non autorisée et prendre des conclusions (au besoin subsidiaires) tendant à le replacer dans la situation qui aurait été la sienne sans l’ensemble de ces transactions.
Le Tribunal fédéral laisse ouverte la question des monnaies des conclusions et confirme le jugement cantonal en considérant qu’en tout état le prêt initial et les prêts subséquents ont été ordonnés ou approuvés par le client.
Le fardeau de la preuve de la bonne exécution et l’obligation de produire le titre authentique
Le client conteste avoir demandé l’octroi des prêts, signé les documents afférents et donné les instructions de transfert à la société E. Il prétend que le Handelsgericht a incorrectement réparti le fardeau de la preuve (art. 8 CC) et violé l’art. 178 CPC.
Le Tribunal fédéral rappelle que lorsque la banque vire de l’argent depuis un compte bancaire à un tiers sur ordre du client, elle acquiert une créance en remboursement contre celui-ci (art. 402 CO). La prétention en remboursement présuppose que la banque ait correctement exécuté l’ordre. Le fardeau de la preuve de la bonne exécution repose sur la banque.
Cela posé, notre Haute Cour relève qu’une expertise de comparaison des signatures a conclu que le client avait signé l’acte de nantissement garantissant les dettes de E envers la banque ainsi qu’une demande de prêt datée du 20 octobre 2008. Bien que l’authenticité du contrat de gestion n’ait pu être établie, l’original n’étant pas produit, le Handelsgericht a considéré comme prouvée l’existence d’une relation d’affaires entre le client et E notamment sur la base des autres documents signés et d’une note téléphonique relatant un appel du client relatif à la résiliation du mandat pour mauvaise performance.
Selon le Tribunal fédéral, la simple contestation de l’authenticité du titre n’est pas suffisante ; la contestation doit être suffisamment motivée. Il incombe à la partie qui conteste de fournir des éléments de nature à faire naître des doutes sérieux sur l’authenticité du titre. C’est à cette condition seulement que la partie chargée de la preuve aura, en outre, la charge de démontrer l’authenticité du document qu’elle invoque.
Dans le cas d’espèce, le client n’a pas invoqué de circonstances ou indices concrets qui soulèvent des doutes sérieux quant à l’authenticité de la signature apposée sur le contrat. Les griefs du client sont partant rejetés.
À l’ère de la digitalisation grandissante, les banques ne conservent ou réclament plus systématiquement les contrats originaux signés par leurs clients. L’arrêt ici commenté, mettant en exergue l’application restrictive de l’art. 178 CPC, les rassurera. La prudence requiert néanmoins de conserver toutes les données prouvant l’acceptation du contrat par le client, telles celles démontrant l’accès à une application bancaire permettant de conclure des contrats.