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Contrats bancaires

La restitution de la cédule hypothécaire reçue à titre de garantie

Refuser la restitution d’une cédule hypothécaire reçue à titre de garantie fiduciaire : oui, mais jusqu’à quel point ? En tout cas pas lorsque la créance garantie invoquée n’existe pas – ou plus –, a rappelé le Tribunal fédéral, au terme d’un raisonnement auquel une banque et son client ne semblaient pas forcément s’attendre (TF, du 12 mai 2020, 4A_559/2019).

Dans le contexte de deux crédits hypothécaires tendant à l’acquisition de deux biens immobiliers distincts, la banque et son client sont liés par deux « contrats-cadres ».

Le premier contrat-cadre prévoit un prêt de CHF 220’000.-, libérés par la banque et garantis par le client moyennant la remise d’une cédule hypothécaire sur papier de CHF 400’000.-. Relativement à cette cédule, le contrat stipule 1) que la propriété de celle-ci passe à la banque ; 2) la garantie de toutes les créances de la banque à l’égard du client résultant de contrats existants ou futurs conclus dans le cadre de leur relation d’affaires ; et 3) que la restitution de la cédule n’interviendra qu’au moment où la banque ne dispose plus de créances à l’égard du client.

Quant au second contrat-cadre, celui-ci prévoit un prêt de CHF 1’000’000.-, lesquels ne sont toutefois pas libérés, mais réservés pour une durée déterminée. En outre, alors que le contrat stipule une pénalité en cas de résiliation anticipée du crédit après la libération des fonds, la banque adresse, quatre mois après sa conclusion, un courrier sans signature au client, dans lequel une indemnité pour résiliation anticipée avant la libération des fonds est également prévue.

Ce second contrat-cadre n’est finalement pas exécuté, de sorte que le client se tourne vers un autre établissement afin d’obtenir un financement qui serait garanti par la première cédule. Mais, se prévalant d’une indemnité de CHF 498’790.45 eu égard à la résiliation anticipée prévue dans le courrier susmentionné, la banque manifeste son intention de ne pas restituer la cédule, même après remboursement du premier crédit.

C’est ainsi la question de cette restitution qui occupe principalement le Tribunal fédéral, suite à une procédure cantonale en libération de dette du client (art. 83 al. 2 LP). Outre l’inexistence de la créance invoquée, il ressort de cette procédure que la problématique en cause doit se résoudre à la lumière du premier contrat-cadre. La restitution de la cédule hypothécaire devrait donc s’opérer simultanément au remboursement du premier crédit, sous réserve des règles de la bonne foi qui permettraient de retenir cette dernière jusqu’à droit jugé sur le bien-fondé de l’indemnité de résiliation anticipée.

Saisi par le client, le Tribunal fédéral fonde l’entier de son raisonnement sur l’art. 842 CC, en partant de la présomption posée par son al. 2 : la cédule hypothécaire utilisée à titre de garantie l’est moyennant un transfert fiduciaire aux fins de garantie (fiducie mixte, fiducia cum creditore).

A cet effet, le Tribunal fédéral s’attarde – une fois n’est pas coutume – sur cette  sûreté réelle et expose son mode de constitution en accordant une attention marquée à son titre d’acquisition, puisque le contrat-cadre du cas d’espèce est en partie un contrat de fiducie mixte. En particulier, l’arrêt ne manque pas de rappeler que sur le plan des droits réels, la banque est pleinement propriétaire de la cédule (Vollrechtstheorie), mais qu’à l’égard de son client, sur le plan du droit des obligations, le contrat de fiducie en limite l’usage, en raison de sa finalité de garantie.

C’est ensuite l’art. 842 al. 3 CC qui permet au Tribunal fédéral de conclure.

Alors qu’il n’évoque généralement que la possibilité de limiter le montant réclamé à celui de la créance de base, le Tribunal fédéral doit ici étoffer ses considérants. Jugée à bon droit – dès la première instance – comme n’ayant jamais fait l’objet d’un accord contractuel, la pénalité pour résiliation anticipée du crédit s’avère inexistante ab ovo. A l’instar d’une créance nulle sortant des effets ex tunc, la cédule hypothécaire ne peut pas garantir ce qui n’a jamais été une créance et les règles de la bonne foi ne sauraient permettre à la banque de sauvegarder d’hypothétiques droits. Partant, la restitution de la cédule hypothécaire doit intervenir simultanément au remboursement du premier crédit.

L’on sait qu’à défaut de garantie indépendante (fondée p. ex. sur l’art. 111 CO), la créance issue du rapport de base demeure une exception de taille en matière de sûretés. L’arrêt rappelle ainsi que tel est le cas du transfert fiduciaire aux fins de garantie – qu’il soit de propriété (d’une chose mobilière) ou de titularité (d’une créance) –, quand bien même celui-ci concerne une cédule hypothécaire (sur papier ou de registre). Par voie de conséquence, l’arrêt évite de tomber dans le piège consistant à penser le contraire, dès lors qu’une créance cédulaire est, par nature, abstraite et sans condition ni contre-prestation.

Par ailleurs, l’on réitérera la remarque faite lors d’un précédent commentaire quant à la nécessité de disposer d’une documentation contractuelle adéquate (4A_69/2018 et 4A_73/2018, commenté in Edouard Benoit, cdbf.ch/1054). Comment la banque pouvait-elle bien croire que l’envoi d’un courrier pouvait avoir une valeur contractuelle ? Pourtant au fait des règles plutôt favorables régissant les conditions générales, cette dernière, en sa qualité de rédactrice, se doit d’être irréprochable. Il en va de l’effectivité de ses sûretés.

Enfin, notons que le Tribunal n’a pas eu besoin d’examiner le cercle des créances garanties stipulé dans le premier contrat-cadre. A s’en tenir aux termes de l’arrêt, tout indique que, comme pour un cautionnement, les règles développées en matière de gage mobilier se seraient appliquées. Ce cercle est limité par l’art. 27 al. 2 CC et s’apprécie en fonction de deux critères cumulatifs : la relation d’affaires des parties et la prévisibilité de la créance garantie. Consacré en 2016 (ATF 142 III 746, commenté in Luc Thévenoz, cdbf.ch/957), le second critère n’a pas reçu un accueil des plus favorables. Si l’occasion aurait ainsi pu être propice à quelques précisions, gageons qu’elle se représentera bien assez tôt.