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Crédit bancaire

De l'intérêt de contester les intérêts

Réussir à « économiser » une somme totale de CHF 195’207.- ensuite de la dénonciation d’un prêt octroyé par une banque ? Tel est le résultat obtenu par les emprunteurs à l’issue d’une procédure de recours conduisant à deux arrêts rendus par le Tribunal fédéral au terme d’une efficace démonstration de droit des obligations (TF, 12 février 2019, 4A_69/2018 et 4A_73/2018).

Suite à un prêt de CHF 4’075’00.-, portant intérêts à « 5.25 % l’an net, variable selon les conditions du marché », dénoncé près de dix plus tard pour le montant de CHF 3’930’000.-, plus intérêts à 6.25 % pour le montant de CHF 366’552.-, banque et emprunteurs ont conclu, presque douze ans après la dénonciation, une « convention et reconnaissance de dette » pour un montant et un taux d’intérêt égaux à celle-ci. Après que la banque a réclamé, dix bonnes années plus tard encore, le paiement du solde en justice, les emprunteurs ont été condamnés en deuxième instance cantonale au paiement dudit solde, pour lequel un taux d’intérêt de 6.25 % a effectivement été appliqué.

À ce stade, il convient de noter que, dans leurs cheminements, les raisonnements des deux arrêts diffèrent. Consorts simples car débiteurs solidaires (art. 71 CPC et 143 al. 1 CO), les emprunteurs ont en effet invoqué des arguments différents, dans deux écritures distinctes. Partant, il ne s’est pas opéré une jonction des causes et chaque groupe de recourants ne pouvait bénéficier que de ses propres griefs.

Qu’à cela ne tienne, le résultat final – réduction de la dette en capital de CHF 292’057.- à CHF 176’999.- et des intérêts de CHF 177’081.- à CHF 76’932.- – et ses fondements sont identiques. Or, pour ce faire, le Tribunal fédéral a parfaitement préparé le terrain en disposant n’être « lié ni par les motifs invoqués par les parties, ni par l’argumentation juridique retenue par l’autorité cantonale ; il peut donc admettre le recours pour d’autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution de motifs ». Fort de ce postulat, il va alors relever à maintes reprises les errements de l’instance inférieure et de l’argumentation des emprunteurs, qu’il juge peu convaincante ; au final néanmoins, ce sont les lacunes de la banque prêteuse qui se paieront cash.

Tout d’abord, le Tribunal fédéral commence par qualifier la relation juridique de base liant la banque aux emprunteurs et compare à cet effet les deux contrats bancaires que sont celui du prêt en espèces (avance à terme fixe ou crédit ferme) et du crédit en compte courant. Après avoir listé leurs principales différences – quant aux bases légales applicables, à la manière de rembourser, au traitement des intérêts et à l’existence éventuelle d’un titre de mainlevée provisoire – il arrive à la conclusion nette et péremptoire que cette relation est un contrat de prêt en espèces et que, de ce fait, la preuve de son remboursement incombe aux emprunteurs.

Logiquement ensuite, le Tribunal fédéral s’arrête sur la reconnaissance de dette causale (art. 17 CO), puisque son préambule se réfère expressément au contrat de prêt liant les parties, émise par les emprunteurs. L’on tire des considérants en question que la validité de la dette reconnue est subordonnée à celle de la dette de base, contre laquelle toutes les exceptions et objections peuvent être invoquées par les débiteurs. Il leur revient en d’autres termes, par l’effet d’un renversement du fardeau de la preuve dû à la reconnaissance de dette, de prouver que le montant de la dette reconnue n’est pas le bon, partant, que le prêt a été (dans une certaine mesure) remboursé.

Enfin, le raisonnement s’achève par la détermination du taux de l’intérêt moratoire par l’application – stricte mais juste – de l’art. 104 CO, d’une part pour la période précédant la reconnaissance dette, d’autre part pour la période lui succédant. Rappelant que toute dérogation au taux légal de 5 % doit être prouvée par le créancier, qu’il s’agisse d’une dérogation « directe » (art. 104 al. 1 CO) ou « indirecte » par l’effet d’une stipulation d’un intérêt conventionnel supérieur à 5 % (art. 104 al. 2 CO), le Tribunal fédéral considère que pareille dérogation n’est prouvée pour aucune des deux périodes. Il reprend donc les calculs opérés dans la décision entreprise sur la base du taux légal de 5 % pour revoir à la baisse les montants dus par les emprunteurs. Curieusement, pour la période antérieure à la reconnaissance de dette, la réflexion semble bien plus s’articuler autour de l’apport, ou non, de la preuve du remboursement par les emprunteurs qu’autour de celle, par la banque, du taux effectivement applicable.

C’est le lieu de noter que les considérants relatifs au taux d’intérêt ont quelque peu tendance à perdre le lecteur. C’est en effet ici que le Tribunal fédéral agit particulièrement pour (ré)concilier les griefs différents des deux recours et le résultat final commun. Aussi, l’arrêt 4A_69/2018 – lequel, rendu par cinq juges, semble servir de « chablon » à l’arrêt 4A_73/2018 – est plus clair, en ce sens qu’il présente un fil conducteur plus limpide. À ce titre, le fait d’avoir invoqué la violation de l’art. 104 CO n’est certainement pas anodin.

En tout état, ces deux arrêts rappellent l’importance pour les parties de bénéficier d’une documentation contractuelle claire. Et pour cause : le contrat est la loi des parties (cf. notamment l’art. 1103 du Code civil français, qui l’exprime parfaitement). En particulier, lorsqu’il dissocie le préambule de la convention que les parties ont conclu simultanément à la reconnaissance de dette (contrairement à la cour cantonale qui avait déduit dudit préambule un accord réel sur le taux d’intérêt [art. 18 CO]), le Tribunal fédéral clarifie un principe qui ne devrait même pas l’être : le préambule n’a pas de vocation contractuelle, sauf à l’inclure explicitement au contrat (ce qui lui ferait toutefois perdre sa qualité de préambule…).

En l’espèce, si le raisonnement et le résultat se sont opérés au détriment de la banque, il ne semble pas qu’il faille pour autant y déceler une volonté cachée de protéger des clients à la merci des établissements bancaires. Au contraire, le principe est ici général et quiconque s’attèlera à la rédaction – ou à l’interprétation subjective – d’un contrat est à présent averti.